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En Camargue, le plomb, interdit, continue d'empoisonner les oiseaux

"Cette cartouche n'a rien à faire là." Au milieu des marais de Camargue, sur les chemins de la plus grande zone humide de France peuplée de millions d'oiseaux, Anthony Olivier, ingénieur d'études et garde de la Réserve naturelle, ramasse une énième douille de plombs.

Sylvain THOMAS - AFP

"Cette cartouche n'a rien à faire là." Au milieu des marais de Camargue, sur les chemins de la plus grande zone humide de France peuplée de millions d'oiseaux, Anthony Olivier, ingénieur d'études et garde de la Réserve naturelle, ramasse une énième douille de plombs.

Ce type de munition de chasse est pourtant interdit depuis 2006 dans les zones humides françaises. Mais près de vingt années plus tard, une étude scientifique publiée mardi dans la revue Conservation Science and Practice démontre que l'empoisonnement au plomb des oiseaux d'eau n'a pas diminué.

Des grues cendrées volent au-dessus du Sambuc, près d'Arles, en Camargue, le 27 février 2025

Des grues cendrées volent au-dessus du Sambuc, près d'Arles, en Camargue, le 27 février 2025

Sylvain THOMAS - AFP

Les auteurs, Arnaud Béchet, directeur de recherche, et Anthony Olivier, chercheurs de la Tour du Valat, institut de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes basé en Camargue (sud-est), ont systématiquement ramassé, de 2008 à 2019, des douilles de fusil sur les chemins communaux. En 2008, 90% étaient des munitions de plomb. En 2019, il y en avait encore 50%, dévoile l'étude.

En parallèle, de 1998 à 2017, grâce à une collecte auprès de chasseurs volontaires, 2.187 gésiers issus de 13 espèces de gibiers d'eau ont également été étudiés pour présence de plombs.

Anthony Olivier (D) et Arnaud Béchet (G) cherchent des douilles de plombs au Sambuc, près d'Arles, en Camargue, le 27 février 2025

Anthony Olivier (D) et Arnaud Béchet (G) cherchent des douilles de plombs au Sambuc, près d'Arles, en Camargue, le 27 février 2025

Sylvain THOMAS - AFP

Résultat, "au cours de la période d'étude de 20 ans, avant et après l'interdiction, les gésiers des oiseaux d'eau récoltés affichaient une prévalence moyenne de plombs de chasse de 12% pour les 13 espèces, sans réduction significative au fil du temps", révèle l'étude.

- Billes dispersées -

Parmi les espèces étudiées dans cette zone humide majeure de migration et d'hivernage située sur le delta du Rhône, un oiseau d'eau sur huit avait au moins une bille de plomb dans son gésier. Et jusqu'à un sur quatre pour les canards Pilet et Colvert.

Une douille et des billes de plomb, photographiées à l'institut de recherche Tour du Valat, au Sambuc, près d'Arles, en Camargue, le 27 février 2025

Une douille et des billes de plomb, photographiées à l'institut de recherche Tour du Valat, au Sambuc, près d'Arles, en Camargue, le 27 février 2025

Sylvain THOMAS - AFP

"Il faut s'imaginer, détaille Anthony Olivier, douille en main, entre 200 et 400 petites billes de plomb par cartouche qui se dispersent dans la nature."

"Les canards, explique Arnaud Béchet, ingèrent les billes de plomb qu'ils confondent avec des cailloux et s'en servent comme des +grit+ pour broyer les aliments dans leur gésier. Ils s'empoisonnent, meurent, puis sont consommés par des oiseaux charognards qui s'empoisonnent à leur tour. Le saturnisme atteint toute la chaîne alimentaire", y compris les consommateurs humains, particulièrement les familles de chasseurs.

Soit potentiellement plus de 13 millions de personnes dans l'Union européenne, qui a réglementé l'usage de ces munitions. Depuis 2006 la chasse avec des plombs dans et à moins de 30 mètres des zones humides est ainsi interdite. Limite étendue à 100 mètres en 2023.

Des canards Colvert en Camargue, au Sambuc, près d'Arles, le 27 février 2025

Des canards Colvert en Camargue, au Sambuc, près d'Arles, le 27 février 2025

Sylvain THOMAS - AFP

Mais partout ailleurs, le plomb reste autorisé. Cette loi, "imparfaite", est dénoncée par les chercheurs de la Tour du Valat et des associations de défense de la nature.

Certains chasseurs déplorent aussi sa complexité. "Il suffit que ce soit sec partout pour (avoir) un doute sur le fait d'être, ou pas, dans une zone humide", témoigne Jean-Marie Coste, 74 ans, chasseur en Camargue.

La fédération nationale des chasseurs assure de son côté que les munitions alternatives au plomb sont moins efficaces et que l'adaptation des armes est en outre "quasi impossible", avec un "coût de remplacement estimé entre 650 millions et 975 millions d'euros" au niveau national.

- Grenailles ingérées -

La commission européenne doit prochainement débattre d'une évolution de la réglementation pour "restreindre la mise sur le marché et l'utilisation du plomb et des composés du plomb en concentration égale ou supérieure à 1%" dans les munitions de chasse et le matériel de pêche.

Des grues cendrées volent au-dessus du Sambuc, près d'Arles, en Camargue, le 27 février 2025

Des grues cendrées volent au-dessus du Sambuc, près d'Arles, en Camargue, le 27 février 2025

Sylvain THOMAS - AFP

Selon la commission, "si les rejets actuels de plomb provenant de la chasse et de la pêche dans l'Union se poursuivent, environ 876.000 tonnes de plomb seront libérées dans l'environnement au cours des 20 prochaines années. Cela représentera un risque d'empoisonnement pour 135 millions d'oiseaux par ingestion de plombs de chasse".

Au Danemark, où l'utilisation du plomb a été interdite dès 1996, "les recherches ont montré qu'aujourd'hui la plupart des grenailles de chasse ingérées par les canards ne sont plus au plomb", explique Debbie Pain, chercheuse en toxicologie liée à l'Université de Cambridge, experte du saturnisme chez les oiseaux. "En Angleterre, compare-t-elle, le plomb est interdit pour la chasse aux gibiers d'eau mais encore autorisé pour tous les autres gibiers. À cause de cette loi partielle, nous avons constaté que plus de 70% des gibiers d'eau sont encore abattus avec du plomb."

Dans l'environnement, le plomb se dégrade très lentement. Il s'enfonce dans les sédiments, mais "si la surface est dure, la grenaille peut rester disponible pour les oiseaux pendant des décennies", souligne la chercheuse.

"Une interdiction complète, plaident les chercheurs de la Tour du Valat dans leur étude, faciliterait l'application des politiques et favoriserait le respect des règles".

Par Ysis PERCQ / Le Sambuc (France) (AFP) / © 2025 AFP

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