Dans une société où des Français se sentent exclus, Internet devient un défouloir et une tribune qui permet à chacun de connaître son heure de célébrité "permanente et relative". On arrive à "l'âge de l'excès", de l'hystérisation où "chacun voit dans le soi", observe Éric Sadin.
"Une expérience successive de désillusions"
"Nous vivons dans une situation paradoxale", note le philosophe qui voit "un très grand nombre d'individus vivre une situation contraire". Des Français qui vivent "une expérience de dépossession de soi, d'assister à l'aggravation des inégalités, d'inutilité de soi, d'humiliation dans le travail et de recul de la solidarité", déplore-t-il. Une histoire qui remonte "au tournant néo-libérale du début des années 1980", souligne Éric Sadin qui regrette "une expérience successive de désillusions et d'assister à des promesses non tenues".
C'est dans cette époque que l'industrie du numérique apparaît et réussit "le grand coup de génie de nous mettre à disposition des systèmes donnant la sensation de l'importance de nous-même", relève Éric Sadin. "Au moment même où nous vivions des sentiments d'inutilité sociale, de soi, de dépossession, d'invisibilité sociale, Facebook a permis d'exposer son quotidien", note l'écrivain qui ajoute qu'avec le pouce dressé, depuis 2009, on peut recevoir "des salves de ravissements".
"Une libération des rancœurs continuelles et une brutalisation croissante des rapports entre personnes"
Des réseaux sociaux qui ont permis "l'exposition de soi". "Comme si c'était un système qui permettait de panser ses plaies, d'avoir des salves de ravissements ou de réconfort", regrette le philosophe. Une possibilité offerte par Facebook en 2004, avant que Twitter n'arrive sur le marché. "Il y a quatre événements fondamentaux qui se passent à cette période qui change la nature de notre croyance et de la confiance par rapport à l'ordre en place", souligne Éric Sadin. Une succession d'événements entre la deuxième guerre du Golfe en 2003, le référendum sur la Constitution européenne en 2005, la crise des subprimes en 2008 et les pratiques "inhumaines" de France Télécom, révélées quelques années plus tard.
"À ce moment apparaissent des systèmes qui ont permis d'exprimer ses opinions, d'être un déversoir des colères, et qui encouragent à des formules brèves, catégoriques, expéditives", remarque l'écrivain qui observe "une libération des rancœurs continuelles et une brutalisation croissante des rapports entre personnes". "Il faut voir le génie de l'industrie numérique qui nous ont donné des instruments nous permettant de faire valoir l'importance de nous-même, de nos opinions, dans une sorte de vanité, qui ne produit rien de continuel", note Éric Sadin qui remarque que "dans la dénonciation de l'ultra libéralisme, personne ne voit que cela génère du chiffre auprès des grandes industries du numérique". Une contradiction qui définit "l'individu tyran".
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