Barricades enflammées, magasins brûlés ou pillés et "voyous à moto": la situation restait tendue vendredi en Martinique, île française des Antilles, malgré l'instauration d'un couvre-feu, sur fond de protestation contre la vie chère.
Située à près de 7.000 kilomètres de Paris et colonisée par la France en 1635, la Martinique est en proie depuis septembre à une mobilisation contre la vie chère initiée par un mouvement baptisé Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC), qui a dégénéré avec des violences urbaines, avec de nombreux épisodes de pillages et d'actes de vandalisme.
Toute la nuit de jeudi à vendredi, les forces de l'ordre ont tenté de contenir les émeutiers qui ont érigé des dizaines de barrages à travers l'île.
Trente-deux personnes ont été interpellées, selon une source à la préfecture et douze policiers légèrement blessés. Quelque 150 véhicules ont brûlé dont ceux d'une société de location et 14 locaux commerciaux ont été incendiés.
Au Carbet (nord), l'unique pharmacie du village a par exemple brûlé. "Il ne reste plus rien. J'ai tout perdu", a réagi auprès de l'AFP son propriétaire, Willy Hilaricus, se désolant que "cela crée un problème d'accès aux soins pour la population" de ce village relativement isolé.
- "Voyous à moto" -
L'aéroport de Fort-de-France, lui, a rouvert vendredi matin avec l'atterrissage d'un premier vol en provenance de République dominicaine peu après 10H00 locales (16H00 à Paris), après avoir dû fermer la veille, en raison de l'intrusion sur les pistes d'une centaine de manifestants.
Huit personnes ont été arrêtées à la suite de cet envahissement, a appris l'AFP de source policière. L'intrusion, sur fond de rumeur de renforts policiers démentie par la préfecture, a provoqué le déroutement vers la Guadeloupe, autre île française des Antilles, de trois avions et plus de 1.000 passagers.
Coeur des affrontements, les quelques kilomètres d'autoroute séparant Le Lamentin de Fort-de-France, sur lesquels ont circulé "une soixantaine de voyous à moto", selon la source à la préfecture.
C'est sur cette route que sont mortes sur le coup jeudi soir deux personnes à moto qui circulaient sans casque à contresens et qui ont percuté une voiture.
Dans la nuit de mercredi à jeudi, un homme de 20 ans est mort en marge du pillage d'un centre commercial et un autre, âgé de 30 ans, a été "grièvement blessé par balle", selon une source policière.
- Ecoles fermés, plan blanc -
Dans un communiqué, l'association des maires de Martinique et celle des maires de France ont appelé "au calme et au dialogue (...) face à l'escalade des violences urbaines".
La préfecture de Martinique a également annoncé jusqu'à lundi l'interdiction des manifestations et des rassemblements sur l'île.
Déjà fermées jeudi, les écoles resteront fermées vendredi "compte tenu de l'incertitude du contexte social actuel et par principe de précaution", selon le rectorat.
Le CHU de la Martinique a annoncé jeudi le déclenchement d'un plan blanc au cours duquel des "déprogrammations d'actes opératoires ou de consultations sont organisées". Les pharmacies de l'île ont déclaré "ne plus être en mesure d'assurer le service d'urgence".
Sans qu'il soit possible d'établir un lien avec les émeutes, le corps sans vie d'un homme criblé de balles a été retrouvé vendredi après-midi à Four-à-Chaux, un quartier populaire du Lamentin, a indiqué la préfecture dans un communiqué.
Le mouvement contre la vie chère, thématique récurrente dans les outre-mer, a été lancé début septembre par le RPPRAC, qui exige un alignement des prix des produits alimentaires sur l'Hexagone, 40% plus chers en Martinique.
Plus d'un Martiniquais sur quatre (27%) vit sous le seuil de pauvreté, près de deux fois le taux de la France métropolitaine (14,4%), selon des chiffres de 2020.
Par Karl LORAND / Fort-de-France (AFP) / © 2024 AFP