François Salachas : "Aujourd'hui, on se demande encore si un hôpital est fait pour soigner ou pour être à l'équilibre"
Au tout début de la crise sanitaire, en 2020, François Salachas interpellait Emmanuel Macron, appelant le Président à "agir". "Un an après, le bilan est extrêmement maigre", se désole le neurologue qui appelait, explique-t-il, à une refonte de l’hôpital public "dont on savait à quel point il ne serait pas en état de faire face à une crise sanitaire qui s’annonçait. Il fallait agir sur plusieurs leviers en même temps", à savoir les salaires ou encore les conditions de travail. Pour lui, les conditions de travail très difficiles entraînent "une perte de sens" dans le travail et, de fait, une perte de "dignité" pour les soignants et les patients.
Mais il aurait aussi fallu agir "sur la gouvernance, ajoute le neurologue, car actuellement, le patron absolu d'un hôpital, depuis la loi HPST de 2009 reste le directeur de l’hôpital, qui lui a l’œil rivé sur les compteurs, sur l’équilibre financier. Finalement, ça devient complètement fou : un hôpital, actuellement, on se demande si c’est encore fait pour soigner, ou si c’est fait pour être en équilibre. De ce point de vue là, rien n'a changé", regrette-t-il.
De plus, il souligne que cette année, dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale, "on demande encore un milliard d’économies à l’hôpital. C’est ce qu’on a demandé, tous les ans, depuis une dizaine d’années, souligne François Salachas. Après, on s’étonne qu’il y ait des problèmes."
[#SudRadio] François Salachas " Un an après, le bilan de la refondation de l'#hôpital est maigre. Aujourd'hui on se demande encore si un hôpital est fait pour soigner ou pour être à l'équilibre ? Cette année on demande encore 1 milliard d'économies à l'#hôpital "
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"Nous n'avons pas les 12.000 lits de réanimation promis"
Olivier Véran avait promis une capacité de 12.000 lits de réanimation. "On ne les a pas du tout", précise le membre du collectif Inter-Hôpitaux. De plus, "un lit tout seul ça ne sert à rien : il faut avoir des équipes de soignants", et surtout des équipes soudées, "habituées à travailler ensemble et non des mercenaires, comme des intérimaires".
Alors que le gouvernement a déclaré qu’il allait former du personnel de réanimation, François Salachas dénonce une "supercherie". "Ce n’est pas vrai qu’on forme des personnels de réanimation en leur faisant faire deux jours de théorique, trois jours d’immersion dans un service et puis de la simulation sur des mannequins. Tous les soignants le savent !"
[#SudRadio] François Salachas " Non nous n'avons pas les 12 000 lits de réanimation promis. Et puis un lit tout seul ça ne marche pas, il faut du personnel, qu'on ne peut pas former en 3 jours! "
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Pour lui, alors qu’il fallait un "choc de confiance", il n’a pas eu lieu : "les soignants qui voulaient quitter l’hôpital l’ont quitté ou vont le quitter, et ceux qui hésitaient à y venir, on pense qu’ils ne vont pas venir". Le neurologue de la Pitié-Salpêtrière juge que l’outil de travail qu’est l’hôpital "s’est dégradé à un point tel que maintenant il faut être extrêmement volontariste" pour y travailler. Il demande ainsi : "où est le volontarisme d’Emmanuel Macron dans ce domaine ?"
"Ce qu'a dit Emmanuel Macron hier, c'est un peu 'j'ai eu raison d'avoir tort'"
Emmanuel Macron a déclaré, à la fin du Conseil européen le 25 mars 2021, avoir eu raison de ne pas confiner en janvier 2021 et maintient que sa stratégie n’a pas été un échec. "quand on entend des choses comme ça, on entend autre chose : on entend 'j’ai eu raison d’avoir tort', d’une certaine façon", estime François Salachas.
Non seulement l’analyse du Président n’est pas la bonne, mais le médecin souligne que "dans les prévisions épidémiologiques qui avaient été faites, ce qu’a dit le Président n’est pas exact". "Les prédictions sont tout à fait en phase avec ce qui arrive dans la réalité", explique le neurologue. "Avec le variant anglais, ce qui devait arriver arriva", estiment les épidémiologistes.
[#SudRadio] François Salachas " Ce qu'a dit #Macron hier n'est pas exact. C'est un peu 'j'ai eu raison d'avoir tort'. Il aurait fallu confiner très fort et utiliser cette période pour vacciner très fort "
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"Il y a, dans les hôpitaux, l’équivalent d’un crash d’avion tous les jours, d’un crash d’Airbus A320"
"Dans un monde idéal, ce qu’il aurait fallu faire, c’est confiner très fort et utiliser la période de confinement pour vacciner à toute vitesse la population", explique François Salachas. C’est ce qui "a eu lieu en Israël, souligne-t-il. Ces success-stories existent tout de même !" Toutefois, pour ce faire, l’Europe aurait dû acheter les vaccins beaucoup plus tôt, c’est le seul mea culpa d’Emmanuel Macron, pour le neurologue. Or, actuellement, "il y a, dans les hôpitaux, l’équivalent d’un crash d’avion tous les jours, d’un crash d’Airbus A320" en termes de décès.
[#SudRadio] François Salachas "Aujourd'hui dans les hôpitaux, il y a l'équivalent d'un crash d'Airbus A320 tous les jours. Et on sait très bien ce qui va arriver dans les jours qui viennent. Les #soignants sont épuisés, et la situation est plus inquiétante " #COVID19france
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La situation est d’autant plus inquiétante que "la pyramide des âges, au sein de la réanimation, a changé", explique le médecin. La moyenne a chuté, passant de 65 à 63 ans, mais, surtout, "il y a des personnes d’une trentaine d’années dont certaines n’ont pas de comorbidité" en réanimation. "Probablement, c’est le nouveau variant qui est responsable de ça."
"Par rapport à la première vague, on arrive beaucoup moins armés"
Si aucune mesure stricte de reconfinement n’est prise, certains craignent que le nombre de contaminations, qui a atteint plus de 45.000 en 24h le 25 mars 2021, ne continue d’augmenter. "On sait à peu près ce qui va arriver dans les 10 jours qui viennent", explique François Salachas. "C’est pour ça que les soignants sont extrêmement inquiets. Le Président a voulu donner une image de calme dans la tempête, mais ceux qui sont sur le terrain sont extrêmement inquiets".
"Par rapport à la première vague", qui a surpris mais où les soignants se sont fortement mobilisés, "on arrive beaucoup moins armés". Les renforts des autres régions ne seront pas au rendez-vous, explique le neurologue, et les soignants sont épuisés, ce qui va rendre la situation encore plus critique dans les hôpitaux.
"La vague, on sait à peu près la taille qu’elle va avoir : c’est comme quand on a l’habitude de faire de la voile dans le 40e rugissant et qu’on voit une vague scélérate arriver dont on sait qu’elle peut coucher le bateau, c’est ça l’état d’esprit des soignants actuellement", souligne le neurologue qui appelle le gouvernement à agir : "les mesures plus importantes sont maintenant urgentissimes". "Chaque jour compte, à partir de maintenant sur ces mesures." Pour lui, le fait d'avoir retardé les mesures de semaine en semaine, revient à avoir "reculé pour mieux sauter". "On parle toujours des morts, mais pas assez des séquelles à long terme du Covid et des drames que ça peut provoquer".
Concernant les traitements contre le Covid-19, "il n'y a rien de nouveau, explique François Salachas. Ce qui est nouveau par rapport à la première vague, c'est qu'on sait mieux s'occuper de ces patients, en sachant que leur profil change un peu, notamment leur capacité à se rendre compte qu'ils ont des taux d'oxygène un peu bas".
Hôpital : "Il faut des équipes soudées et stables"
Quelle mesure faudrait-il à long terme pour l'hôpital ? Pour François Salachas, "il faut reprendre le problème à la base. L'hôpital, public en particulier, reste un travail d'équipe. Il faut des équipes soudées et stables. Or, les plus anciens restent 2-3 ans et n'ont pas le temps de former les suivants, déplore-t-il. Il faut recréer un noyau dur dans les équipes. Pour ça, il faut que ce soit attractif en termes de salaire et de conditions de travail.
Il faut aussi que la gouvernance se symétrise entre les directeurs administratifs et les soignants : médecins, infirmières, cadres, et il faut que les usagers aient leur mot à dire dans l'histoire. Ensuite : le financement. Actuellement, l'hôpital public est financé par une loi chaque année et on le met en déficit.
Dernier point, l'hôpital est géré actuellement comme une entreprise, or, l'hôpital est là pour soigner et pas pour être en équilibre et qu'à la fin, sur des tableaux Excel, on vous dise oui vous avez progressé ! Et je rappelle que le mot de patient, au cours de ces réunions, n'est jamais prononcé..."
"La psychiatrie est une spécialité sinistrée"
Les hospitalisations des moins de 15 ans pour des motifs psychiatriques explosent de plus de 80%, avec une augmentation des tentatives de suicide. "On sait que ces taux-là ont augmenté, reconnaît François Salachas, mais on ne sait pas encore trop les quantifier. On pense que ce type de crise démasque une fragilité dans la société : une fragilité des jeunes mais aussi une fragilité du système censé leur venir en aide.
Au sein du système de santé français, la psychiatrie est une spécialité sinistrée : on parle d'un plan d'urgence pour la psychiatrie, il faudra qu'il soit extrêmement efficace. Globalement, tout ce pour quoi l'hôpital est fait en général, en dehors du Covid, n'est plus assumé actuellement".
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