Christine Bouillot : Nous allons faire le bilan économique de cette année 2015 mais l’un des événements majeurs a été le 13 novembre à Paris. Comment avez-vous vécu ces attentats ?Philippe Dessertine : Comme tout Parisien, comme tout citoyen, j’ai vécu ces attentats comme une agression à titre personnel et qui a tout bouleversé. C'est-à-dire que tout devient différent comme lorsque l’on commence à se dire qu’il y a des gens qui nous haïssent. Parler d'économie à côté de ce drame a presque quelque chose de dérisoire.Est-ce que justement nous avons été attaqué parce que l’on est fragilisé ? Quand on regarde les tensions géopolitiques de cette année, n’oublions qu’il y a eu des attentats partout dans le monde ! Par exemple, en Tunisie quand ces touristes sont assassinés sur des plages avec un scénario comparable à Paris. Il y a eu beaucoup de violences adressées de cette manière aux populations occidentales ou qui veulent vivre à l’occidentale.
Mais il y a eu aussi des violences de plus en plus fortes à l’intérieur de territoires, Syrie, Ukraine, Yemen par exemple. Et toutes ces violences doivent nous interpeller. A la fois du point de vue de l’économie. Il y a un lien très fort entre la violence qui monte dans le monde et les déséquilibres économiques qui ne cessent de s’accroître.
Cette année 2015, au fond, marquera par ce différentiel entre la croissance des pays dits développés et le reste du monde. Je n’ose utiliser le terme de croissance dans le reste du monde puisque de nombreux pays notamment émergents, Brésil, Russie, ne sont plus en croissance. Ils sont en récession. Ils ne tirent plus la croissance mondiale. Aujourd’hui on est plutôt dans une sorte de coupure entre les deux.Guerre contre le terrorisme, ajoutée à la crise économique, crise des migrants, crise climatique, peut-on s’en sortir seul, nous Français ?Honnêtement, il faut commencer par parler de la crise économique. Le facteur économique est à l'origine de toutes les autres crises, y compris la crise climatique. C’est notre modèle de consommation occidentale étendue aux pays émergents qui ne marche plus. Ce mode ne tient plus avec 7,8 milliards et une population en croissance car très jeune et qui vit de plus en plus tard. Tant mieux ! Mais du point de vue économique, cela nous pose un certain nombre de questions.
2015 est une obligation qui nous est faite de penser plus large et plus loin. Plus large c'est-à-dire de ne plus penser à l’échelle de la France de l'Europe. Nous sommes concernés par le reste du monde. Et penser plus loin, c'est que nous ne sommes plus en train d’améliorer notre croissance ou taux de chômage. Nous devons penser à l’émergence d’un nouveau modèle économique au niveau mondial. Et là seulement nous aurons, je crois, à ce grand dérèglement, le début des réponses, le début des solutions.Peut-on en sortir par le haut ? Ou bien y a-t-il une risque de repli sur soi, une volonté de revenir en arrière ? Vos auditeurs doivent se dire en m’écoutant "la crise, on m'en parle depuis toujours, je suis né avec, dans les années 70, 80". Mais là ce n’est pas une crise. C’est quelque chose de différent. En 2009 j’avais écrit un livre Ceci n’est pas une crise, juste la fin d’un monde (Anne Carrière Editions). Nous sommes en effet à un tournant de notre histoire de France et de notre histoire mondiale. Ce moment de bascule après la chute du mur de Berlin, la fin de la guerre où nous pouvions travailler tous ensemble. Sauf que ce monde-là, on ne peut plus le bricoler. 2015 nous emmène dans un autre monde, il est à portée de mains, il a déjà commencé.Donc vous nous dites "N’ayez pas peur" !Vous avez deux regards possibles. Le regard sur le monde que l’on quitte et là forcement vous êtes déprimés. Et nous, les occidentaux, nous étions les privilégiés de cet ancien monde. Et puis si on regarde devant, nous avons quelque chose de nouveau et qui doit être incroyablement exaltant. Pour moi, c’est ce regard en avant que doivent avoir nos jeunes.Donc, à ces jeunes, vous leurs demandez d’aller voir ailleurs ?Mais cette jeunesse n'arrête pas déjà de penser large et de penser loin ! Je pense à ces jeunes que je connais et que je croise à l’université ou dans les grandes écoles. Mais une bonne partie de notre jeunesse est déjà dans cette vision-là.
Allez par exemple dans ces villes d’Asie pour mesurer l’énergie qui en ressort ! L'évolution scientifique de ce monde en accélération est tout simplement vertigineuse ! Et dans l’économie, c’est déjà en marche puisque les grandes entreprises d’aujourd’hui, entreprises jeunes, capturent ou recyclent déjà ces évolutions scientifiques.Quel est le vœu que vous pourriez formuler pour 2016 ? Je le dis et le répète sans cesse à tous nos jeunes : vivez passionnément ! Vivez vos passions ! Et dans une logique qui ne soit jamais celle de la raison. La passion est l’inverse de la raison. Et tant mieux. Je dis : allez-y, foncez ! Cette passion positive va vous permettre de construire en 2016 et les autres années un monde que j’espère formidable.
Grand entretien : les moments forts de 2015 de Philippe Dessertine
Par La Rédaction
Sud Radio poursuit ses entretiens, tout au long des vacances, avec des personnalités qui nous racontent comment ils ont vécu leur année 2015. Ce mardi, Philippe Dessertine, économiste, professeur à l’Institut d’administration des entreprises de l’Université Paris I Panthéon Sorbonne, directeur de l’Institut de Haute Finance et membre du Haut Conseil des finances publiques.