"Le monde est absurde, comment le prendre trop au sérieux": Hanna Kochehura, 34 ans, comédienne ukrainienne de stand-up, a fait du rire une arme pour résister à l'horreur de la guerre et faire décompresser ses compatriotes, civils comme soldats.
La jeune femme a quitté Kiev en train via Varsovie pour se produire deux soirs début février à Lille, à l'occasion de Lillarious, un festival d'humour dont la 4e édition s'achève dimanche.
Cheveux blonds aux épaules, longue jupe plissée et mains sur les hanches, elle décoche sur scène ses vannes en ukrainien sur un ton pince-sans-rire, devant un public équipé pour l'occasion de casques pour une traduction simultanée.
Façon journal intime, elle évoque avec humour noir sa vie quotidienne dans son pays en guerre, où "survivre est déjà un boulot à plein temps".
"Je suis célibataire, ce qui n'est pas idéal parce que c'est vraiment difficile de trouver un mec en Ukraine par les temps qui courent: les hommes sont tous en tenue de camouflage, donc c'est vraiment dur de les repérer... Est-ce que ça c'est un buisson, ou mon futur mari?"
L'appui militaire de la Corée du Nord à la Russie l'inspire aussi: "Je suis déçue, j'espérais que la Corée du Sud viendrait nous aider, mais où sont les BTS?" (célèbre groupe de K-pop, NDLR)
- "Un côté Blanche Gardin" -
Les organisateurs de Lillarious comptaient initialement faire venir un autre humoriste ukrainien, Anton Timochenko, qui leur a suggéré d'inviter plutôt la comédienne.
Car "les Ukrainiens de 18 à 60 ans sont mobilisables et ont interdiction de quitter le territoire", rappelle Yann Renoard, directeur artistique du festival. "C'était compliqué. On s'est dit qu'il serait sans doute plus simple de faire venir une femme".
Hanna Kochehura a une certaine notoriété en Ukraine - certains de ses sketches cumulent plus de 200.000 vues sur YouTube.
Yann Renoard dit avoir été frappé par son jeu, dans lequel "il n'y a vraiment pas d'emphase, pas de fioriture. Elle a un côté Blanche Gardin dans sa façon de se positionner, de tenir le micro".
Hanna "ressent physiquement les choses. Elle est à fleur de peau". Comme pour tous les Ukrainiens, son quotidien depuis le début de la guerre avec la Russie il y a trois ans "est épuisant nerveusement", souligne M. Renoard.
Née à Zaporijjia (sud de l'Ukraine), elle s'installe à 18 ans dans la capitale pour étudier les langues et la littérature étrangère. Après avoir travaillé comme secrétaire dans un cabinet d'avocats, puis comme chef de projet informatique, elle s'est lancée dans le stand-up il y a sept ans.
- Faire rire à Boutcha -
Peu après le début de l'invasion russe en 2022, Hanna Kochehura, Anton Timochenko et deux autres humoristes ukrainiens décident de se produire près du front, dans des bases militaires ou des hôpitaux, ainsi que dans des villes où des massacres de civils imputés à l'armée russe ont eu lieu, comme Irpine et Boutcha.
Le réalisateur et producteur américain Christopher Walters a filmé cette tournée pour en tirer un documentaire, "Comedy of war: Laughter in Ukraine", sorti en 2023.
"On continue" ces représentations, souligne la comédienne. "Certains de mes collègues sont allés vraiment très près, à 30 ou 20 km de la ligne de front pour des spectacles dans les tranchées".
"Le but est de créer cet espace pour rire, et de soulager le stress", explique la jeune femme à l'AFP. Elle participe aussi à des tournées caritatives pour lever des fonds pour les militaires et, comme d'autres civils ukrainiens, a fabriqué elle-même un drone pour contribuer à l'effort de guerre.
Elle se souvient de son premier show sur une base militaire, qui ne se déroulait pas aussi bien que prévu car les soldats "ne riaient pas, ils souriaient seulement, jusqu'à ce qu'un commandant fasse un signe pour dire: +Nous pouvons rire+ (...), soudain ils avaient le droit de rire, c'était drôle".
Pour toucher la diaspora ukrainienne, l'humoriste sera en tournée ce printemps dans plusieurs pays européens dont la Pologne, l'Allemagne ou encore la République tchèque.
Par Laurent GESLIN / Lille (AFP) / © 2025 AFP