Le mouvement #BalanceTonPorc va-t-il prendre de l’ampleur dans le milieu juridique ? Si le monde de la politique et celui du show-business sont régulièrement pointés du doigt ces derniers mois pour des pratiques de harcèlement moral et sexuel, celui des avocats n’est pas non plus épargné par le phénomène, assure Maître Valence Borgia, avocate, présidente d’honneur de l’Union des Jeunes Avocats et membre du conseil de l’ordre du barreau de Paris. Invitée du Grand Matin Sud Radio ce vendredi, cette dernière appelle à une prise de conscience généralisée de ce milieu.
"Avocat, une profession historiquement masculine et conservatrice"
"Le métier d’avocat est une profession extrêmement féminisée. Aujourd’hui, il y a 30 000 avocats au barreau de Paris, et 55% sont des femmes. J’étais hier à la prestation de serment de l’école des avocats, et 70% des nouveaux entrants sont des femmes. Pour autant, elle est historiquement masculine et conservatrice", assure-t-elle avant de pointer tout d’abord une forme de discrimination professionnelle. "Les avocates gagnent parfois moitié moins que les hommes. Certes c’est une profession libérale, mais justement il n’y a pas l’amortisseur du droit du travail. Donc c’est un peu la loi de la jungle. Par exemple, on peut mettre fin à un contrat de collaboration sans motif, du jour au lendemain. Or, il y a trois statuts : collaborateur, associé ou installé. Et les femmes sont majoritairement collaboratrices", déplore-t-elle.
"Des récits glaçants de ce qu’il se passe dans le secret des cabinets"
Pour Valence Borgia, l’éclatement de l'affaire Weinstein doit absolument contribuer à libérer la parole des femmes victimes de harcèlement. "Des initiatives avaient été prises au barreau de Paris, notamment la création d’une commission harcèlement-discrimination. Il est frappant de voir qu’elle a été saisie de faits de discrimination et de harcèlement moral, mais pas du tout de harcèlement sexuel. Au moment de l’affaire Weinstein, l"Union des Jeunes Avocats avait diffusé une petite tribune dans laquelle on s’étonnait de cette omerta, en pointant le fait que c’était exactement la même chose chez nous. Ça a déclenché une avalanche de témoignages, on a été contacté par énormément de consœurs qui nous ont fait des récits glaçants de ce qu’il se passe dans le secret des cabinets", raconte-t-elle.
"On évoque la vie sexuelle de sa collègue, on lui fait une bise qui dérape..."
Dans le métier d’avocat comme ailleurs, comment définir le harcèlement sexuel ? Pour Valence Borgia, des petites attitudes du quotidien peuvent se révéler dangereuses. "Ça commence par une proximité qui se crée de manière inappropriée : on commence par évoquer la vie sexuelle de sa stagiaire ou de sa collaboratrice, on décrète qu’on lui fera la bise tous les matins, une bise qui dérape un peu plus chaque matin… Ces comportements totalement inappropriés génèrent une perte de repères et créent une situation de violence contre les femmes", indique-t-elle avant d’évoquer les risques de délation excessive que certains ont pu pointer récemment. "En tant qu’avocats, nous sommes évidemment extrêmement sensibles à la présomption d’innocence et au droit de la défense. J’entends bien cet avertissement sur les dérives de délation excessive, mais franchement je n’en ai pas vu tant que ça ! On parle de vies brisées, mais je n’ai pas vraiment vu de noms, peut-être suis- je passée à côté...", assure-t-elle.
Réécoutez en podcast toute l’interview de Valence Borgia dans le Grand Matin Sud Radio