Un busard cendré passe sous une pale d'éolienne, scrutant la garrigue à la recherche d'un petit rongeur. Plus haut, un faucon crécerellette tournoie dans le ciel de l'Hérault, ignorant le danger que représentent pour lui les bras de ces géants de métal actionnés par le vent.
Le tribunal correctionnel de Montpellier doit dire lundi si l'électricien EDF est pénalement responsable d'une surmortalité de ces deux espèces d'oiseaux protégées et de rares chauves-souris sur le parc éolien du Causse d'Aumelas, à une vingtaine de kilomètres à l'ouest de Montpellier.
Aux jumelles, Simon Popy, spécialiste de la biodiversité, observe les 31 éoliennes implantées depuis une vingtaine d'années sur ce plateau désert dominant la Méditerranée, en plein coeur d'une zone labellisée "Natura 2000".
"On est sous une éolienne, donc, en bas et en haut, on voit des haut-parleurs et un boitier. C'est un système qu'on appelle DT-Bird, qui est censé effaroucher les oiseaux par un genre de klaxon et les faire dévier de leur course, mais ça ne marche pas super bien. Il y a toujours des mortalités des espèces vulnérables, c'est un peu un échec", explique-t-il à l'AFP.
Ne comptant que quelque 700 spécimens sur l'ensemble de l'Hexagone, les faucons crécerellettes sont de petits migrateurs qui avaient pratiquement disparu de l'Hérault avant de revenir s'installer sur le Causse d'Aumelas au début des années 2000. Ils y seraient à présent quelques centaines.
Avec l'association France Nature Environnement (FNE) Occitanie Méditerranée, qu'il préside, M. Popy est à l'origine d'une citation directe pour "destruction d'espèces protégées" visant EDF Renouvelables France et son PDG jusqu'en mars 2024, Bruno Bensasson, ainsi que neuf sociétés exploitant ce parc éolien pour le compte d'EDF Renouvelables.
Lors d'une audience en décembre, le parquet a réclamé 750.000 euros d'amende (dont 500.000 avec sursis) pour chacune des sociétés visées et six mois de prison avec sursis et 150.000 euros d'amende (dont 100.000 avec sursis) contre M. Bensasson.
- Réparer le préjudice -
FNE, partie civile, réclame pour sa part un dédommagement de 500 euros par oiseau tué et que les exploitants versent 168.000 euros au Plan national d'action pour le faucon crécerellette, en réparation du "préjudice écologique" subi par l'espèce.

Un parc éolien à Aumelas, à l'ouest de Montpellier, le 12 mars 2025 dans l'Hérault
GABRIEL BOUYS - AFP
La défense de Bruno Bensasson soutient pour sa part que "l'élément matériel" de l'infraction est absent, puisque "l'espèce faucon crécerellette prospère sur ce territoire".
En outre, elle considère que l'ancien PDG d'EDF Renouvelables devrait être "exonéré de sa responsabilité pénale" dès lors qu'il avait délégué à des subordonnés ses pouvoirs concernant la protection de l'environnement.
Personnes morales, EDF Renouvelables et ses sous-traitants ont également plaidé la relaxe sur toute la ligne, assurant avoir respecté "toutes les prescriptions et mesures d'évitement et de réduction des risques".
"Près de 70 cadavres ont été retrouvés au pied des éoliennes. Sachant qu'il y en a qui disparaissent avec les renards etc., ce serait plutôt de l'ordre de 150 à 300 faucons crécerellettes qui auraient été tués par ces éoliennes", répond Simon Popy, selon qui cette surmortalité a "ralenti de 22%" la croissance de ces petits faucons sur ce site, l'un des rares où ils nichent en France.
"EDF Renouvelables a pris en compte dès le début la présence de faucons crécerellettes à Aumelas, premier parc éolien en France à être équipé de dispositifs d'effarouchement", a indiqué samedi à l'AFP un porte-parole de l'entreprise.
"Depuis 2020, nous avons investi deux millions d'euros pour mettre à niveau ces dispositifs, avec comme résultat qu'il y a eu quatre impacts mortels en 2022 et 2023 et deux en 2024", a-t-il ajouté.
- "Pas n'importe où" -
Si ce procès devant une juridiction pénale est première, EDF et ses filiales ont déjà été condamnées au civil, en 2021, par la cour d'appel de Versailles, pour la mort de 28 faucons crécerellettes "par collision avec les éoliennes" de ce même parc d'Aumelas.

Une éolienne du parc d'Aumelas, à l'ouest de Montpellier, le 12 mars 2025 dans l'Hérault
GABRIEL BOUYS - AFP
La justice civile avait constaté que "cette destruction perdurait malgré la mise en place" en 2014 d'un système électronique d'effarouchement.
Or, en vertu d'une directive européenne, toute destruction de ces espèces protégées est illégale, sauf stricte dérogation préfectorale.
Une telle dérogation, qui aurait autorisé la survenue d'un nombre restreint d'accidents mortels, n'a toujours pas été sollicitée par EDF, d'où l'action introduite par France Nature Environnement, qui estime qu'EDF joue la montre, n'étant pas du tout assurée d'obtenir la dérogation.
"Nous pensons que l'éolien fait partie des sources énergétiques indispensables à la transition énergétique, mais qu'il ne faut pas en faire n'importe où", notamment dans les zones naturelles du sud de la France où l'enjeu pour la biodiversité est plus important que dans les plaines de Picardie ou de la Beauce, estime M. Popy.
Dans un dossier similaire, le même tribunal de Montpellier doit rendre mercredi sa décision sur le parc éolien de Bernagues, toujours dans l'Hérault, dont l'exploitant, la société Energie Renouvelable du Languedoc, filiale du groupe Valeco, doit répondre de la mort d'un aigle royal. Là encore, le parquet a réclamé d'importantes amendes.
Par Philippe SIUBERSKI / Aumelas (France) (AFP) / © 2025 AFP