"J'espère que ça va clore toutes ces années de mal-être pour pouvoir enfin commencer à vivre": première des 299 victimes du pédocriminel Joël Le Scouarnec auditionnée par la cour criminelle du Morbihan, Orianne a enfin pu raconter jeudi les viols commis sur elle par l'ex-chirurgien quand elle avait dix ans.
L'accusé a pour la première fois à Vannes reconnu ces viols commis en 1992, dont il a réaffirmé cependant ne pas se souvenir, comme c'est le cas pour la plupart des patients, souvent mineurs, sur lesquels il perpétrait des violences sexuelles.
"Ca fait 33 ans que j'attends ce moment", a lancé d'emblée la quadragénaire avant de laisser s'échapper quelques sanglots. Une profonde inspiration, et elle reprend courageusement: "Il a brisé ma vie et je veux qu'il m'entende."
Hospitalisée à la clinique de Loches (Indre-et-Loire) pour une appendicectomie, Orianne (elle a autorisé la presse à divulguer son prénom) explique comment le chirurgien, dès le premier jour, avait demandé aux aides-soignantes de déplacer un autre patient âgé qui partageait sa chambre, afin qu'elle y reste seule.
"Pendant mon séjour, ce chirurgien m'a violée plusieurs fois", raconte-t-elle, auditionnée par visioconférence en raison de problèmes de santé consécutifs, selon elle, des viols commis par l'accusé. "J'étais terrorisée."
Elle n'a que dix ans à l'époque mais sait qu'"on ne (mesure) pas la fièvre en insérant un doigt dans le vagin" et qu'"on n'écoute pas le coeur d'un malade en caressant longuement ses seins", souligne-t-elle, balayant les arguments avancés la veille encore par l'accusé, pour qui certains viols étaient des gestes "purement médicaux".

Croquis d'audience du 5 mars 2025 montrant l'ancien chirurgien Joël Le Scouarnec (d) et son avocat Maxime Tessier (g) lors de son procès à la cour criminelle du Morbihan à Vannes
Benoit PEYRUCQ - AFP
La voix vibrant d'émotion, Orianne décrit comment le médecin lui "a donné des gouttes" pour la faire dormir.
"Mais moi (...) je savais très bien ce qui allait se passer."
- "Ca me hante!" -
"Pas besoin de remettre en ordre mes souvenirs, ça me hante!", insiste-t-elle. "Là je vais avoir 44 ans et depuis l’âge de 10 ans et demi ça me hante tous les jours."
"J'avais la sensation de ne pas pouvoir bouger, ne pas pouvoir crier... Mais je sentais très bien ses mains partout sur moi", souffle la victime, qui restera hospitalisée pendant une longue semaine.
A son retour dans sa famille, elle tente de parler à ses parents de ce qu'elle a subi. "Mais personne ne m'a crue, personne ne m'a comprise."
Sombrant dans la dépression, vers l'âge de 13 ans elle demande à voir un gynécologue qui constate la rupture de l'hymen et lui demande seulement "si (elle) fait beaucoup de sport".
"Personne ne m'a jamais demandée si j'avais subi des sévices sexuels alors que je n'attendais que ça pour pouvoir en parler", répète celle dont la vie sentimentale et sexuelle reste marquée par les traumatismes et les blocages provoqués par ces viols.
Depuis son box, le médecin âgé de 74 ans garde un visage toujours impassible à ce récit, figé comme une statue de cire, fixant l'écran où apparaît la plaignante.
Qu'attend Orianne du procès ? "Ceux qui savaient je veux qu’ils soient punis, je veux des excuses (...) Je veux surtout que la peine soit à la hauteur de tout le mal qu’il a pu faire", souligne-t-elle.
Joël Le Scouarnec encourt au maximum vingt ans de réclusion criminelle.
- "Excuses" et "aveux" -
Un peu plus tard, pour la première fois depuis son interpellation en 2017 après une plainte pour le viol d'une voisine de six ans, Joël Le Scouarnec reconnaît les viols par pénétration digitale dans le vagin commis sur Orianne sous couvert d'actes médicaux.
"J'ai été effectivement la personne qu'elle a décrite, l'être ignoble qui faisait tout ce qu'il pouvait pour entrer à plusieurs reprises dans sa chambre pour assouvir ses pulsions", lâche l'accusé.
Il lui demande "pardon" d'une voix qui se brise, renifle et semble produire quelques larmes. Puis reprend d'un ton égal: "Je n’ai gardé aucun souvenir de tout ça", soulignant n'avoir "aucune raison de mettre en doute tout ce qu’elle vient de dire".
Des excuses sincères ? "En tout cas, il y a des excuses et des aveux", estime Me Louise Aubret, l'une des avocates d'Orianne.
Une deuxième victime, âgée de 9 ans en 1991 lorsqu'elle subit les violences du chirurgien à Loches, vient à son tour à la barre. Contrairement à Orianne, elle ne se souvient de rien et la cour s'en remet aux violences méticuleusement consignées par l'ex-chirurgien dans ses carnets.
"J'attends la vérité" pour pouvoir avancer, lâche cette victime.
L'accusé ne conteste pas les faits mais n'a là encore pas de souvenirs. "Je ne vais pas inventer ce que j'ai oublié", s'agace-t-il sur une question de la présidente.
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