"Seul un oui est un oui" ou "non c'est non" ? La France, où un débat est engagé sur une redéfinition pénale du viol, fait face à un dilemme sémantique, estime la philosophe et militante féministe espagnole Clara Serra à l'occasion de la sortie de son essai "La doctrine du consentement".
Plus de deux ans après l'entrée en vigueur d'une loi sur le consentement en Espagne, l'ancienne élue Podemos à l'Assemblée régionale de Madrid insiste, dans un entretien à l'AFP, sur le fait qu'une réforme de la législation ne réglera pas tout.
Question : Le procès des viols de Mazan a relancé le débat sur l'intégration de la notion de consentement dans la définition pénale du viol. Qu'en pensez-vous?
Réponse : "Si on introduit le consentement dans la loi française, cela revient à expliciter un principe implicite, ce qui me semble très bien. La loi doit être claire quant à ses principes et il me semble qu'il est absolument indispensable qu'elle le soit concernant le consentement. En revanche, ce qui me semble plus problématique, c'est que cela suppose un changement de paradigme. La France est face à un dilemme qui n'est peut-être pas tant d'entrer dans le paradigme du consentement que dans le paradigme du consentement affirmatif.
Cette manière très particulière d'appréhender le consentement vient du monde anglo-saxon, parfois résumée par la formule: +seul un oui est un oui+. J'ai des réserves quant au fait que cela soit la meilleure manière de protéger les femmes contre les violences.
A l'inverse, je crois que le +non+ est un bon critère pour délimiter le sexe et la violence. Quand on dit non, c'est toujours non, indépendamment de ce qui s'est passé auparavant, indépendamment de si on est allé prendre des verres, indépendamment de si une relation sexuelle a commencé... Non, c'est une limite très claire."
Question : Quel est le problème à vos yeux de la doctrine positive du consentement "Solo sí es sí" ("seul un oui est un oui") au coeur de la loi passée en 2022 en Espagne?
![La philosophe et militante féministe espagnole Clara Serra, le 4 février 2025 à Paris](https://www.sudradio.fr/wp-content/uploads/2025/02/40ab8724bd24e8354f6793017e6608e6e16fb28f.jpg)
La philosophe et militante féministe espagnole Clara Serra, le 4 février 2025 à Paris
JOEL SAGET - AFP
Réponse : "Le problème lorsque nous passons du slogan +non, c'est non+ à sa version positive, c'est que cela ne fonctionne pas : tout +oui+ ne peut pas être un +oui+. Et donc nous échangeons un critère très clair pour un critère très confus: les +oui+ peuvent être des faux oui, des oui viciés. Un +oui+ peut être dit sous contrainte ou sous menace.
Les lois doivent être les plus larges possibles et aller dans le sens du consentement négatif. A cet égard, l'Allemagne a la loi la plus sûre, la meilleure, la plus riche car c'est une loi où l'on part du principe que le consentement est quelque chose qui doit toujours pouvoir être retiré et par conséquent, la loi examine très soigneusement toutes les conditions dans lesquelles une personne n'aurait pas été en mesure de retirer son consentement."
Question : Vous insistez sur le fait que la loi ne règlera pas tout. Que faut-il faire d'autre?
Réponse : "La manière dont est présenté le débat en France peut laisser penser que nommer le consentement dans la loi résout tout le problème, que cela va entraîner un changement radical. Ce n'est pas le cas.
La loi pénale nous protège d'un crime grave et doit le faire, mais nous voulons plus. Les problèmes profonds comme le machisme et le patriarcat, la réforme de la loi ne les traite pas vraiment. Il y a des choses qui ne sont pas des viols mais qui sont néanmoins de profonds manques de respect de l'autre. Il faut instaurer ce que j'appellerais une éthique de la sexualité."
Par Toni CERDÀ et Marinne PENNETIER / Paris (AFP) / © 2025 AFP