Dix ans après avoir été pris en otage par les frères Kouachi dans son imprimerie de Dammartin-en-Goële, Michel Catalano dit à l'AFP être toujours engagé dans un travail de "reconstruction", et insiste sur la dimension "familiale" du drame.
Le 9 janvier 2015, il a été retenu pendant deux heures par les frères Chérif et Saïd Kouachi. Patron de l'imprimerie de Seine-et-Marne dans laquelle les auteurs de l'attaque contre Charlie Hebdo s'étaient retranchés avant d'être tués par les gendarmes du GIGN, Michel Catalano vient de se confier dans un livre.
"Je n'ai plus de cauchemars, mais je dors mal", raconte dans un entretien à l'AFP "l'imprimeur de Dammartin" - titre de son ouvrage paru au Cherche-Midi -, qui aura 58 ans mardi.
"Le 7 janvier, ce n'est pas mon anniversaire qui rejaillit dans ma tête, c'est un drame". L'anniversaire de sa naissance est celui du début d'une série sanglante d'attentats jihadistes.
Certaines peurs d'enfant lui sont revenues. Le noir l'"angoisse" et, là où il se trouve, il tient à se tenir "face à la porte". Surtout, à chaque nouvel attentat, les souvenirs remontent.
Aujourd'hui, "je ne peux pas dire que je me sens bien, parce que ce n'est pas vrai", confie-t-il.
Si la journée du 9 janvier 2015, celle au cours de laquelle il se "prépare à mourir" comme il le raconte dans son récit, constitue le premier traumatisme, les semaines et les mois qui suivent sont autant de nouvelles épreuves.
Ce sont les assureurs qui proposent une somme dérisoire, un document à signer impérativement le jour où son père décède, une enveloppe contenant 2,50 euros qui lui est offerte à l'occasion d'une soirée...
"Il y a un décalage entre la compassion générale qu'on peut entendre et ce que vous vivez tous les jours", témoigne-t-il. "Les gens ont l'impression que tout le monde est bienveillant avec nous alors qu'en fait, non".
Michel Catalano a alors "l'impression d'être déconnecté du reste du monde", avec parfois des moments où il se sent "seul, même entouré de (s)a famille".
Avec sa femme, il se sent aujourd'hui "beaucoup plus fort" et "solidaire". "Mais on a eu des moments, pendant les dix années, au bord d'une séparation".
Certains couples ayant vécu ce type d'événement "ne sont pas restés ensemble, parce que c'est d'une violence qu'on n'imagine pas", souligne-t-il.
- "Optimiste" -
Même s'il va de mieux en mieux, Michel a "du mal à retrouver" certains plaisirs, dans le sport notamment.
"J'ai la même enveloppe mais effectivement, je ne suis pas le même homme", décrit celui qui se dit désormais "plus contemplatif".
Très vite après les événements, il a décidé de reconstruire son imprimerie, détruite par l'assaut des forces de l'ordre, et au même endroit, malgré les premières réticences de sa famille.
"Je ne pouvais pas me reconstruire moi personnellement, en tant qu'être, si je ne reconstruisais pas mon bâtiment", raconte-t-il en ajoutant qu'il n'avait "pas envie de partir" et ne voulait "pas non plus de cicatrices dans cette zone industrielle".
"Ce bâtiment serait resté sûrement détruit pendant des années, ça aurait été mis partout sur les réseaux sociaux".
L'année qui vient de s'achever devrait être celle de la rentabilité, alors que la crise du Covid-19 début 2020 les avait fait replonger sa femme et lui, au moment où ils sortaient la tête de l'eau.
A cette époque, "avec ma femme et mon fils, et même mes collaborateurs, on s'est dit : +Bon, on a connu pire, donc on va se remettre aussi, on va continuer+", se remémore-t-il.
L'homme, qui se décrit comme "quelqu'un de très optimiste", continue d'intervenir dans les prisons et écoles en tant que victime du terrorisme, et "essaye de changer le monde".
Il dit avoir tiré quelques leçons de son épreuve: l'importance de se faire aider, de consulter un psy, alors qu'il n'aurait jamais pensé en avoir besoin. "La faiblesse, c'est de ne pas y aller", estime-t-il.
Par Kevin TRUBLET / Paris (AFP) / © 2025 AFP