Ce 1er septembre marque la rentrée des professeurs qui attaquent la nouvelle année scolaire quelques jours avant leurs élèves. Une période de reprise que ne connaît que trop bien notre invité Bernard Ravet, ancien principal d'un collège à Marseille et désormais retraité, venu présenter son dernier livre intitulé "Principal de collège ou imam de la République ?". Un ouvrage dans lequel il dénonce certaines comportements qu'il a pu observer dans les établissements scolaires. Interview.
Bonjour Bernard Ravet, vous jetez un pavé dans la marre avec ce livre en racontant ce que vous avez vécu, expliquant que l'on ferme les yeux sur l'attitude de certains élèves pour avoir la paix, n'est-ce pas ?
Je crois que ce livre est un récit d'un quotidien dans un collège difficile. Ma démarche a été un peu celle de Véronique Vasseur quand elle a écrit sur l'état de santé des gens en prison. Mon discours était simple : on a beaucoup d'ouvrages théoriques qui parlent de la violence, de l'échec scolaire, de la radicalisation mais on n'a très peu de témoignages de vécu du quotidien. Ce livre, avec Emmanuel Davidenkoff, on a souhaité l'écrire vu de l'intérieur.
Vous parlez de choses que vous ne pouviez pas dire auparavant. Vous allez quand même très loin. Vous dîtes par exemple que les élèves sont hyper violents, de certaines filles qui agressent... Vous étiez dans un quartier assez difficile et vous expliquez que certains collégiens placent la "loi de Dieu" au dessus de celle des Hommes, c'est bien ça ?
La difficulté, c'est que l'on s'aperçoit que certains collégiens refusent le règlement intérieur de l'établissement. Au départ, on n'a pas forcément toutes les clés et un jour on en a une qui tombe puisqu'un collégien nous dit "de toute façon, pour moi il ne faut pas respecter la loi des Hommes parce que si on la respecte on est mécréant". Ça nous fait poser question parce que le système éducatif, dans les années 1900 et avant la loi de 1905, était peut-être préparé à ce que les élèves opposent une croyance au système de la République. Or on a perdu cette vigilance et je pense qu'il faut aujourd'hui réinventer...
...sont-ce des cas isolés ou est-ce qu'il y a beaucoup d'élèves dans ce cas ?
Vous savez, on n'a pas le droit en France de faire des statistiques. Moi, ce que je montre, ce sont des cas que j'ai vécus et certains de mes collègues dans la presse disent que je ne suis pas seul à avoir vécu ce type de difficultés.
Vous recevez des témoignages de collègues qui disent la même chose ?
Tout à fait mais il ne faut pas généraliser, il ne faut pas non plus qu'il y ait une confusion. Tous les élèves de confession musulmane ne sont pas tous des intégristes. Mais le problème, c'est qu'on en a quelques-un qui peuvent cristalliser, autour de leurs pratiques familiales, une position qui devient difficile à gérer au sein de l'établissement.
Est-ce que vous faisiez remonter ces information auprès du rectorat et du ministère ?
Je faisais remonter les informations auprès du rectorat mais c'était il y a plus d'une dizaine d'années, quand le logiciel de fonctionnement de notre maison n'était pas du tout attentif à ça. L'Éducation nationale n'avait pas les moyens d'être attentive à cela. Je crois qu'il y a eu un grand moment, c'est l'après Charlie Hebdo. Vu ce qu'il s'est passé, le ministère a réagi et la case "radicalisation" est apparue sur les feuilles de signalements, celles qui sont remplies quand il se passe un incident.
Est-ce que votre livre a alerté l'Éducation nationale ?
Ça a même alerté au plus haut niveau du ministère puisque le ministre a souhaité me rencontrer. Nous avons eu un échange constructif...
... quand l'avez vous vu ?
... Je l'ai vu hier, pour tout vous dire, et il a été à l'écoute. Il n'ignorait pas ces difficultés puisqu'il était recteur de l'Académie de Créteil. Ce qui m'a paru intéressant dans cet échange, c'est que l'on s'est demandé quelle stratégie mettre en place pour aller plus loin encore qu'un simple signalement, c'est-à-dire : qu'est-ce que l'on fait pour que les profs puissent faire face à ce genre de situation ?
Faut-il mettre des sortes de registres dans chaque établissement pour que chacun signale et ne ferme plus les yeux ? Les profs sont démunis, n'est ce pas ?
Les profs sont démunis. Il y a déjà des correspondants à la laïcité mais je crois qu'il faut surtout se poser la question de savoir comment on aborde le problème pédagogiquement. Il ne faut surtout pas aller de front parce que l'élève qui me dit "La loi de Dieu est supérieure à la loi des Hommes" est dans sa bonne foi. Si je lui dit "non, ce n'est pas ça" de cette manière là, il va se bloquer et on aura tout perdu. Ce livre est aussi un hommage au boulot des profs qui essaient d'inventer au quotidien des solutions pour que le système continue et que les valeurs de la République soient transmises.
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