La langue française est "la langue de toutes les personnes qui la parlent" et non des seuls Français, et elle a besoin de "ce sang nouveau", estime l'écrivain Jean-Marie Gustave Le Clézio, prix Nobel de littérature, dans un entretien à l'AFP.
Plusieurs auteurs francophones parlant aussi d'autres langues que le français figurent dans la sélection des prix littéraires de la rentrée, comme le franco-algérien Kamel Daoud ou le franco-rwandais Gaël Faye, et pour J. M. G. Le Clézio, cela signifie que "la langue française est vivante."
"La langue française, ce n'est pas la langue des Français, c'est la langue de toutes les personnes qui la parlent. Quel que soit le pays dans lesquels ils ou elles vivent, l'inspiration que ces personnes reçoivent est liée à leurs expériences personnelles, et elles contribuent au changement de la langue", dit l'écrivain, en marge d'une conférence aux 27e Rendez-vous de l'Histoire de Blois, dont il était l'invité.
Pour lui, ces personnes "sont les vecteurs de ce que l'on peut attendre de la littérature du futur". "Si la langue française survit, et je souhaite qu'elle survive, elle ne le pourra que grâce à ce sang nouveau, à cet apport de personnes qui ne croient pas toutes dans la même chose" car "les mots sont variables", explique-t-il.
J. M. G. Le Clézio était à Blois pour la publication d'un ouvrage de Jean Meyer - dont il a écrit la préface - consacré à Louis Riel, fondateur de la province canadienne du Manitoba et ardent défenseur des droits des métis et de leurs parents autochtones.
Une figure historique "plus que jamais d'actualité", souligne l'écrivain, âgé de 84 ans.
- Croyances, esprit et armes -
"Louis Riel pensait que la force de l'esprit est plus forte que celle des armes. Nous vivons actuellement une grande période de tension. Entre des croyances religieuses et celles de ceux qui croient davantage dans l'esprit, dans la possibilité des êtres humains de vivre ensemble sur cette planète", poursuit M. Le Clézio.
Pour lui, "Louis Riel est un exemple historique d'un malentendu qui s'est soldé par sa condamnation et sa mort par pendaison à Regina, le 16 novembre 1885."
Le livre de Jean Meyer ("Louis Riel Prophète du Nouveau Monde", Gallimard) explique "le combat inégal des Indiens et des Métis pour faire reconnaître leurs droits sur leurs terres face à la puissance des soldats de l'armée britannique, à leur mépris à l'égard des populations francophones, à leur racisme envers ceux qu'ils considéraient comme des sauvages", détaille J. M. G. Le Clézio.
"Il nous donne aujourd'hui à réfléchir", insiste le prix Nobel de littérature en 2008.
Le prestigieux prix vient d'être attribué à la Sud-Coréenne Han Kang, une récompense méritée et attendue "de longue date", a-t-il estimé: "la Corée compte de grands écrivains. Il était temps qu’un ou une des leurs soient honorés".
"Han Kang a un esprit très nouveau, qui ne se fonde plus seulement sur l'héritage de la guerre mais qui parle de la Corée actuelle, et des relations entre les générations. Comment les jeunes peuvent rester coréens sans être exagérément confucianistes", décrypte-t-il.
"C'est très compliqué pour les femmes. En Corée du Sud, elles doivent réussir trois choses: leur accomplissement personnel, être quelqu'un, leur relation affective avec les autres, particulièrement les relations sentimentales. Et elles doivent réussir à maintenir le respect des anciens. Ce qui est très difficile", poursuit M. Le Clézio.
"Han Kang en parle très bien dans ses ouvrages. Elle évoque Séoul, une ville extraordinairement moderne. Je crois que c'est une des villes les plus modernes du monde et c'est d'autant plus difficile d'être jeune dans une telle ville", conclut-il.
Par Christian PANVERT / Blois (AFP) / © 2024 AFP