Retrouvez le regard libre d'Elisabeth Lévy chaque matin sur sudradio.fr.
Vous voulez revenir sur une vidéo qui a beaucoup tourné...
Elle a été postée le week-end dernier par Eric Tricot, infirmier anesthésiste à Créteil, proche de Sud. Une sorte de gilet jaune en blouse bleue. Il faut d’abord saluer son dévouement et son travail. Dans une de ses dernières vidéos, est fier de montrer un patient sauvé et il a raison.
Celle dont il est question ici, est d’une tonalité plus politique et passablement haineuse.
Voici ce qu’elle dit : “un petit message personnel, Je tiens à le dire à tous nos ministres. Taisez-vous, c’est indécent de vous entendre parler… Je vous le dis, je vous pointe du doigt, vous êtes responsables, vous avez du sang sur les mains alors taisez-vous !
D’accord, c’est passablement violent, mais des messages de ce genre il y en a des milliers. Pourquoi s’intéresser à celui-là ?
Précisément parce qu’il y en a des milliers, ce qui signifie qu’il reflète un état d’esprit fort répandu : la recherche du bouc émissaire. Il ne s’agit plus de pointer les erreurs des élus, mais de délégitimer les hommes, présentés comme des monstres avides d’argent et de pouvoir. Et de voir leur tête tomber.
La critique n’exige pas la haine.
On peut comprendre que beaucoup de soignants enragent alors qu’ils tirent la sonnette d’alarme en vain depuis des années.
Oui, mais le résultat, c’est que beaucoup sont saisis par une forme d’ivresse victimaire. Il y a un narcissisme de la générosité. Ils ont eu raison avant tout le monde et aujourd’hui, ils sont en première ligne. Et ont donc le sentiment qu’ils ont moralement tous les droits, celui de donner des ordres à toute la société comme celui de traiter des ministres d’assassins. Les hashtags qui tournent annoncent la couleur : “On n’oubliera pas” ; “ils paieront” ; “rendez-vous au procès”.
Or, dans l’après-Covid, cette logique accusatoire risque de plomber le débat politique, transformé en chasse aux sorcières, et d’interdire le débat économique car il sera très difficile de résister aux exigences de nos héros.
Il faudra bien donner les moyens à notre système de santé.
On ne peut pas dire qu’il n’en avait pas. Nous avons eu collectivement tort de soumettre la santé à une régulation financière et bureaucratique. Mais nous nous tromperions tout autant en décrétant aujourd’hui que notre système de santé doit échapper à toute contrainte financière, autrement dit bénéficier de ressources illimitées. L’épidémie nous l’a une fois de plus montré, l’omniscience revendiquée par notre grand et bel État, par nos beaux et grands services publics, est souvent le masque de leur impotence.