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Le Scouarnec: les victimes espèrent "des réponses" pour "refermer ce chapitre"

"On est tous rattachés à ce prédateur." Amélie, Marie et Guillaume font partie des 299 victimes de Joël Le Scouarnec, ancien chirurgien jugé pour viols et agressions sexuelles sur ses patients souvent mineurs à partir du 24 février.

Benoit PEYRUCQ - AFP/Archives

"On est tous rattachés à ce prédateur." Amélie, Marie et Guillaume font partie des 299 victimes de Joël Le Scouarnec, ancien chirurgien jugé pour viols et agressions sexuelles sur ses patients souvent mineurs à partir du 24 février.

Tous espèrent obtenir "des réponses" lors de son procès devant la cour criminelle du Morbihan à Vannes, confient-ils à l'AFP.

Seule de ces trois victimes à accepter de parler à visage découvert, Amélie Lévêque, 42 ans, choisit ses mots avec soin, dans son salon à Loches (Indre-et-Loire).

"À neuf ans, j'ai été opérée pour une appendicite par le Dr Le Scouarnec", raconte-t-elle. "J'ai toujours su que quelque chose d'anormal avait eu lieu."

Comme Marie et Guillaume, et contrairement à une majorité de victimes, Amélie a été agressée alors qu'elle était éveillée et non sous anesthésie.

Dans des carnets saisis par les gendarmes en 2017, le chirurgien viscéral tenait scrupuleusement le compte des sévices -viols, agressions sexuels, attouchements- qu'il infligeait à ses victimes, le plus souvent mineures.

Contrairement à la plupart d'entre elles, Amélie n'est pas contactée par les enquêteurs. C'est elle-même, en lisant la presse, qui découvre l'affaire en 2019.

"Tout de suite, je me dis, voilà, c'est ce qui m'est arrivé. Ca expliquait tant de choses étranges dans ma vie, comme ma phobie des hôpitaux (...), mes troubles alimentaires, ma vie en pointillé depuis l'opération", retrace-t-elle.

Elle contacte une avocate, Me Francesca Satta, qui lui confirme qu'elle fait partie des victimes. Les souvenirs remontent, lentement.

"Les nuits, les jours, je ne pensais qu'à ça. J'ai fait une grosse, grosse dépression. Je ne savais plus qui j'étais, où j'habitais, ni ce qui m'arrivait", murmure-t-elle, la voix nouée, tandis que son chat, Gustave, se blottit contre elle.

À quelques jours du début du procès, Amélie espère réussir à bientôt "refermer le chapitre Scouarnec". Pour ça, "il faut que je sois reconnue comme victime."

- "Ignoble" -

Marie, dont c'est le prénom d'emprunt, compte elle aussi les jours avant le 24 février. Assise dans un café de Combourg (Ille-et-Vilaine), elle serre dans ses mains une tasse de tisane.

En 1996, Marie a 10 ans et se fait opérer de l'appendicite à Vannes, par Le Scouarnec.

"Pour moi, c'était une opération qui s'était bien passée. Je n'en gardais pas beaucoup de souvenirs", se remémore-t-elle, aujourd'hui âgée de 38 ans.

Des dossiers liés au premier procès de Joël Le Scouarnec photographiés le 13 mars 2020 à Saintes (Charente-Maritime), où l'ex-chirurgien a été condamné à 15 ans de prison pour les viols et agressions sexuelles sur quatre enfants

Des dossiers liés au premier procès de Joël Le Scouarnec photographiés le 13 mars 2020 à Saintes (Charente-Maritime), où l'ex-chirurgien a été condamné à 15 ans de prison pour les viols et agressions sexuelles sur quatre enfants

GEORGES GOBET - AFP/Archives

En 2019, des gendarmes frappent à sa porte. La jeune mère de famille connaît alors "une vie sexuelle compliquée" et soupçonne depuis longtemps que c'est dû à un "viol, enfant".

Les gendarmes lui annoncent qu'ils "ont lancé une enquête sur (Le Scouarnec)" et qu'il a détaillé dans ses carnets son viol, se souvient-elle.

La jeune femme lit le récit du chirurgien. Il est "ignoble": elle "bugue".

"Plein de choses sont en lien avec mes souvenirs", rejoue-t-elle. "Mais à aucun moment, je ne me souviens du viol en question."

Comme pour Amélie, les souvenirs remonteront progressivement, puis ne la quitteront plus.

"Aujourd'hui, je ne suis toujours pas réparée", souffle-t-elle.

- Combat -

L'oubli, Guillaume (prénom d'emprunt) aussi a dû "s'y confronter", lorsqu'en 2018, des gendarmes lui proposent de lire ce que Le Scouarnec a écrit sur son passage à l'hôpital à ses 12 ans.

"Amnésie ou pas, ce qui s'est passé est tout aussi traumatisant. Car les conséquences existent, je vis avec tous les jours. L'amnésie ne dilue pas la gravité de l'acte."

Des avocats se préparent avant le début du procès à Saintes (Charente-Maritime) le 30 novembre 2020 de Joël Le Scouarnec, qui sera jugé dès le 24 février 2025 pour viols et agressions sexuelles sur 299 victimes présumée, dont la majorité était mineure au moment des faits

Des avocats se préparent avant le début du procès à Saintes (Charente-Maritime) le 30 novembre 2020 de Joël Le Scouarnec, qui sera jugé dès le 24 février 2025 pour viols et agressions sexuelles sur 299 victimes présumée, dont la majorité était mineure au moment des faits

Philippe LOPEZ - AFP/Archives

Aussitôt après l'opération, l'adolescent "rejette ses parents" alors qu'il était auparavant "très proche d'eux". Il se coupe du monde extérieur.

Des "signaux d'alarme", que personne n'a su décrypter.

Après la lecture du récit du chirurgien pédocriminel, Guillaume fait une dépression, avec "une conduite à risque, notamment suicidaire, des hospitalisations."

"Dès le début, il aurait fallu une cellule de crise pour être accompagné par un psychologue lors de la révélation des faits", estime-t-il.

"Pendant des années", le jeune trentenaire lutte pour "retrouver la mémoire" de l'agression, survenue après une opération bénigne, sous couvert de geste médical.. Les faits lui reviennent par bribes.

"C'était mon combat, pour que le souvenir de ce moment n'appartienne pas qu'à cet homme."

- Entraide -

Le procès, espère Guillaume, permettra d'"obtenir des réponses, comprendre comment (Le Scouarnec) a pu agir aussi longtemps. Ceux qui l'ont protégé sont complices, voire autant fautifs, que lui."

Administrateur d'un groupe Facebook d'entraide entre victimes du chirurgien, Guillaume s'illumine lorsqu'il évoque "l'entraide, la bienveillance" entre elles.

"On s'envoie nos galères, on se partage les infos. On inclut aussi les parents de victimes", raconte-t-il. Les siens, dont il s'est rapproché, l'accompagneront "chaque jour" au procès.

Un policier ferme la porte d'une salle d'audience le 13 mars 2020 lors du procès de Joël Le Scouarnec à Saintes (Charente-Maritime) où il sera condamné à 15 ans de prison pour viols et agressions sexuelles sur quatre enfants

Un policier ferme la porte d'une salle d'audience le 13 mars 2020 lors du procès de Joël Le Scouarnec à Saintes (Charente-Maritime) où il sera condamné à 15 ans de prison pour viols et agressions sexuelles sur quatre enfants

GEORGES GOBET - AFP

"On est tous rattachés à ce prédateur", soupire Marie. "Il n'y a qu'entre nous qu'on est sûrs de se comprendre."

En témoignant publiquement, Amélie Lévêque espère inciter "toutes les victimes à porter plainte" et à refuser le huis clos, évoquant l'exemple de Gisèle Pélicot.

"Pourquoi me cacher? Pourquoi avoir honte? Ce n'est pas à moi d'avoir honte."

Par Anaïs LLOBET / Loches (France) (AFP) / © 2025 AFP

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