Une nouvelle "affaire du siècle"? Un collectif d'associations a annoncé jeudi le dépôt, devant le tribunal administratif de Paris, de deux recours contre l'Etat pour "carences" dans la lutte contre le mal-logement.
Six ans après l'action intentée contre l'Etat pour inaction en matière climatique, ce double recours vise cette fois-ci à faire reconnaître les obligations de l'Etat concernant le logement, a déclaré Maïder Olivier du collectif des associations unies (CAU) lors d'une conférence de presse, évoquant une "démarche inédite pour non-assistance à personnes mal-logées".
"On considère que l'État est en faute, (...) qu'il ne respecte pas la loi, et que cela cause un préjudice pour les associations amenées à pallier ses manquement", a précisé à l'AFP la coordinatrice du mouvement qui compte dans ses rangs Médecins du Monde, la Ligue des droits de l'homme, Emmaüs France, le Secours Catholique ou encore Utopia 56.
Cette assignation fait écho au recours déposé contre l'Etat en mars 2019 par quatre associations de défense de l'environnement. Elles l'accusaient de "carence fautive" par son "action défaillante" pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. La faute de l'Etat a été reconnue le 3 février 2021 par la justice qui a ordonné au Premier ministre d'alors de prendre "toutes les mesures utiles" pour réparer le "préjudice écologique et prévenir l'aggravation des dommages".
- Budget "largement insuffisant" -
Sur le dossier du mal-logement, le premier recours concerne l'hébergement d'urgence et les obligations de l'Etat en matière d'accès, de conditions d'accueil et de continuité de la prise en charge.
"L'Etat ne respecte aucune de ces trois obligations qu'il s'est lui-même fixées dans le Code de l'action sociale et des familles", indique Me Myriam Gougeon, avocate en charge de ce recours.
Elle pointe notamment les "6.000 demandes en hébergement d'urgence non pourvues chaque soir au 115", un budget "alloué par l'État largement insuffisant au regard du besoin" et le "nombre de places insuffisantes en hébergement d'urgence".
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Sameer Al-DOUMY - AFP
Le second recours porte sur le droit au logement opposable (Dalo), instauré par la loi de 2007 qui oblige l'État à proposer d'urgence une solution de logement à des personnes qui en sont privées ou vivent dans des situations précaires (menace d'expulsion sans relogement, logement insalubre, etc.).
Depuis 2008, "il y a eu 1.359.859 recours introduits sur la base de cette loi Dalo. Sur ces 1.359.859, il y a 440.648 ménages qui ont été reconnus prioritaires", souligne l'avocat Emmanuel Daoud chargé du recours Dalo. "Sur ces 440.648 ménages, il y en a 258.788 qui ont été relogés - 102.969 attendent toujours de se voir attribuer un logement."
- "Dégradation considérable" -
La vingtaine d'associations qui ont déposé les recours - sur les 40 que compte le collectif - demandent au tribunal de constater "l'inaction fautive" de l'Etat et dans ce cas de "prendre des mesures d'injonction pour, d'une part, obliger l'Etat à agir et, d'autre part, indemniser le préjudice des associations".
Sont demandées 10.000 euros pour chacune d'entre elles pour "réparation de préjudice moral", à quoi s'ajoute une demande en "réparation de préjudice matériel" notamment pour la Fondation pour le logement des défavorisés (ex-Fondation Abbé Pierre) qui "a été obligée dans certains cas de pallier matériellement les carences de l'Etat", précise Me Daoud.
Sollicité par l'AFP, le ministère du Logement assure que la ministre Valérie Létard est "consciente des difficultés" et "se mobilise au quotidien", citant notamment "l'obtention du maintien de 203.000 places d'hébergement d'urgence" dans le budget et "30 millions d'euros supplémentaires pour la mise à l'abri des femmes vulnérables".
Pour Christophe Robert, délégué général de la Fondation pour le logement des défavorisés, les associations "ont tendu la main à l'Etat pendant des années mais force est de constater que la situation se dégrade considérablement".
Selon le dernier rapport de la Fondation, 350.000 personnes sont sans-domicile en France, soit +6% sur un an et +145% depuis 2012. Elle comptabilise 4,2 millions le nombre de personnes mal-logées, qu'elles soient privées de logement ou vivent dans des conditions difficiles. L'Unicef France fait de son côté état de 2.000 enfants sans abri.
Le double recours déposé jeudi survient un an après les poursuites engagées, en février 2024, par cinq grandes villes (Strasbourg, Bordeaux, Grenoble, Lyon et Rennes) contre l'Etat pour dénoncer ses "carences" en matière d'hébergement d'urgence.
Dans une décision distincte rendue jeudi, la cour d'administrative d'appel de Bordeaux a condamné l'Etat à rembourser près d'un million d'euros à la communauté d'agglomération Pays basque pour "carence" dans l'accueil de migrants sans abri.
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Par Marine PENNETIER / Paris (AFP) / © 2025 AFP