Les députés entament lundi une semaine de débats houleux sur la proposition de loi sénatoriale visant à lutter contre le fléau du narcotrafic, le gouvernement n'entendant pas renoncer à certaines dispositions combattues par la gauche et une partie de la macronie au nom de la défense des libertés publiques.
La proposition de loi "visant à sortir la France du piège du narcotrafic", portée au Sénat par Étienne Blanc (LR) et Jérôme Durain (PS), y avait été adoptée à l'unanimité le 4 février. L'une de ses principales mesures, parmi les plus consensuelles, prévoit la création d'un parquet national anticriminalité organisée (Pnaco).
Les votes devraient être plus partagés à l'Assemblée, au vu de la tournure des débats en commission des lois début mars.
Le texte y a certes été adopté, mais avec le seul soutien du RN et de la coalition gouvernementale, et après avoir été amputé de plusieurs mesures phares. Les socialistes - comme les écologistes et les communistes - se sont abstenus, bien que l'un des leurs, Roger Vicot, soit corapporteur du texte. Les Insoumis ont voté contre.
Les députés ont ainsi supprimé un article visant à obliger les plateformes de messagerie chiffrée (Signal, WhatsApp...) à permettre l'accès aux correspondances des trafiquants pour les services de renseignement. La ministre du Numérique Clara Chappaz et le président de la commission des lois, Florent Boudié (Renaissance), s'y étaient eux-mêmes montrés opposés.
Egalement supprimé, un article proposant la mise en place d'un "dossier coffre" ou "procès-verbal distinct" permettant de stocker des informations recueillies via des techniques spéciales d'enquête sans que les avocats des narcotrafiquants ne puissent y accéder lors de la procédure judiciaire.
Une disposition qui met à mal le principe du contradictoire, et dont la députée Eléonore Caroit (apparentée au groupe Ensemble pour la République), parmi d'autres, avait souhaité la suppression.
- "Sursaut" -
Auprès du Parisien, le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau a défendu ces deux articles, qui font l'objet d'amendements de rétablissement de la coalition gouvernementale, soulignant que le Conseil d'Etat a "ratifié" le "dossier coffre".

Un policier marche devant un bâtiment utilisé par un narcotrafiquant présumé, le 13 mars 2025 à Avignon
GABRIEL BOUYS - AFP
Alors que "le narcotrafic est une menace existentielle" qui "menace nos institutions", il a espéré un "sursaut" des députés. Ces derniers "doivent donner à l'Etat une loi fondatrice car aujourd'hui, nous ne luttons pas à armes égales", a-t-il souligné.
D'autres mesures, votées en commission, ne manqueront pas de susciter de très vifs débats. Ainsi de l'idée de créer un nouveau régime carcéral d'isolement pour les narcotrafiquants les plus dangereux, portée par le ministre de la Justice Gérald Darmanin.
L'idée a particulièrement crispé les socialistes, qui se sont abstenus sur le texte en commission pour cette raison, selon M. Vicot.
M. Darmanin, suivant en cela un avis du Conseil d'Etat, devrait soutenir l'amendement du rapporteur Vincent Caure portant "à deux ans renouvelables", plutôt que quatre, la durée d'affectation dans ces quartiers de haute sécurité.
Egalement très polémiques: la généralisation de la visioconférence pour les détenus des quartiers de haute sécurité, le passage à 120 heures de garde à vue pour les "mules", l'activation à distance des appareils électroniques fixes et mobiles - autant de mesures que certains députés du "socle commun" veulent réintroduire après leur suppression en commission.
Invité de CNews dimanche, le député et coordinateur de LFI Manuel Bompard a dénoncé un texte "inefficace et dangereux". Le député LFI Antoine Léaument se dit de son côté "chaud bouillant" à l'approche des débats, espérant convaincre au-delà des rangs Insoumis.
La mobilisation des quatre groupes de la coalition gouvernementale, dont les représentants étaient peu présents en commission, sera une des clés du devenir du texte. "Je sais que je peux compter (sur les députés LR) pour (le) soutenir", a dit M. Retailleau, écartant l'idée que les jeux d'appareil à droite puissent porter préjudice à la proposition de loi, alors qu'il est comme le patron des députés LR Laurent Wauquiez en campagne pour la présidence du parti.
M. Darmanin, qui a reçu les représentants des différents groupes au cours du mois de mars, oppositions comprises, accueillera de son côté lundi soir à son ministère les membres de la coalition gouvernementale.
Par Stéphanie LEROUGE / Paris (AFP) / © 2025 AFP