"Quand on est clandestin, on ne peut rien faire", estime Mazarine Mitterrand Pingeot, qui publie mercredi "11 quai Branly", un récit d'un retour impromptu sur les lieux de sa jeunesse.
Ce récit est le premier de la collection Retour chez soi, des éditions Flammarion, qui permet à des auteurs de revenir dans un endroit de leur choix, en l'occurrence un lieu où elle a vécu de ses 9 à 16 ans.
La fille du président François Mitterrand, qui signe pour la première fois "Mazarine M. Pingeot", a obtenu pour 24 heures les clés de l'appartement de 300 m², dans un bâtiment surnommé "l'Alma", où l'Élysée la logeait avec sa mère, sans que les Français ne le sachent.
Question: Vous donnez beaucoup de détails sur l'agencement, le décor de cet appartement. C'est ce qui vous a le plus marquée lors de ce retour?
Réponse: Oui. C'est d'ailleurs ce qui m'en restait le plus, l'espace. Presque plus que ce qui s'est passé dedans. Ce qui se passait là-bas, ce n'était que du quotidien. Il ne s'y passait rien d'autre: pas de visite impromptue, de grosses fêtes... Je me souvenais parfaitement de l'espace. En revanche, beaucoup de choses y ont changé. Des travaux ont été faits, la moquette a été retirée pour récupérer le parquet. C'est plus joli. Mais toujours impersonnel.
Q: Vous racontez que non seulement les actuels résidents de l'appartement ont donné leur accord, mais aussi le président Emmanuel Macron...
R: Je ne pensais pas que mon éditrice réussirait à l'avoir. Ça a été miraculeusement rapide! Je ne mesurais pas au début. Quand j'ai dit oui, je pensais: c'est marrant, c'est curieux, c'est une aventure.
Q: Quand votre existence est révélée en 1994, votre histoire privée, cachée, est devenue très publique. Quel enseignement tirer de cette trajectoire qui est unique?
R: Disons qu'elle est unique dans son caractère extrême. Ce n'est pas si unique, mais dans les proportions c'est radical. Je suis convaincue que tout ce que je raconte, ce sont des choses que plein d'enfants ont vécues, entre la peur, la solitude, le fait de taire des choses... Moi, c'était l'identité d'un père très connu, donc c'est peut-être plus compliqué. Mais ça peut arriver de taire l'identité d'un de ses parents, ce qui n'est jamais simple. Ensuite, on peut cacher d'autres secrets. Ce qui m'intéresse, c'est d'essayer d'écrire quelque chose que tout le monde peut s'approprier.
Q: Le récit donne l'impression qu'on tâchait de vous préserver au maximum de l'imprévu. Vous étiez protégée par des gendarmes pour ne pas être enlevée.
R: C'était une vie secrète, où je ne pouvais pas faire grand-chose. Quand on est clandestin, on ne peut rien faire. Les gens en cavale, je leur souhaite bon courage! Je n'avais quasiment pas d'initiative. Et je n'en revendiquais pas. Mes parents n'interdisaient pas: j'avais intégré cette condition. Les gendarmes, je les aimais beaucoup parce que c'était eux que je côtoyais. Ça, ce n'est pas normal, ce rapport au monde toujours filtré. Tout était très tenu.
Q: Avez-vous pris du plaisir à délaisser la fiction pour revenir sur votre histoire?
R: Oui, je renoue avec le récit, ce que je n'ai pas beaucoup fait. À écrire, c'est génial. Ce n'est pas du tout la même difficulté: être toujours au plus près d'une émotion, essayer d'être juste dans son expression. J'adore ce travail. Mais je ne l'aurais pas fait si je n'avais pas eu cette commande.
Q: Les sentiments ont dû être forts, et le livre n'en reste pas moins très mesuré. Vous avez atténué ces sentiments?
R: Cela tient à ma manière d'écrire, et peut-être d'être. J'ai été élevée comme ça: dans ma famille, on n'était pas trop dans la démonstration des sentiments. Il y avait de la tendresse, mes parents n'étaient pas des gens froids. Mais dans toutes les générations, mes grands-parents, il y a des gens qui ne s'épanchent pas beaucoup.
Par Hugues HONORÉ / Paris (AFP) / © 2024 AFP