Il était depuis mai le fugitif le plus recherché du pays. Arrêté samedi en Roumanie après neuf mois de traque, le narcotrafiquant Mohamed Amra était, jusqu'à son évasion sanglante, surtout connu comme un délinquant multi-récidiviste à la dangerosité mal prise en charge par les autorités.
Malgré ses cheveux et sa barbe teints en orange, Mohamed Amra, alias "La Mouche", est reconnaissable sur les images filmées par la police de Bucarest lors de son interpellation. Son visage, figé depuis mi-mai 2024 sur une "notice rouge" d'Interpol, avait fait le tour de la France et au-delà.
Le narcotrafiquant de 30 ans venait de s'évader lors d'un transfert. Le fourgon pénitentiaire qui le conduisait dans le bureau d'un juge avait été attaqué par un commando lourdement armé, qui avait tué au péage d'Incarville (Eure) deux agents pénitentiaires et blessé trois autres.
Les autorités semblent alors découvrir son envergure criminelle.
Et aujourd'hui encore, elles s'efforcent de comprendre comment Mohamed Amra n'a pas été considéré "comme le plus grand de nos bandits" pour reprendre les mots, en janvier dernier, du garde des Sceaux Gérald Darmanin.
- "Moyenne délinquance" -
Dès sa jeune adolescence, Mohamed Amra, né à Rouen (Seine-Maritime), est placé en centre éducatif renforcé (CER) après avoir commis ses premiers délits "vers l'âge de 11 ans", d'après un rapport de l'Inspection générale de la justice (IGJ) de juillet 2024.
A 13 ans, il commet ses premiers vols aggravés.
Entre 2009 et son évasion, il a été condamné 15 fois, majoritairement pour "des faits de délinquance contre les biens ou des délits routiers".
Ces actions lui valent des allers-retours incessants en prison, avec une détention "presque tous les ans depuis 2014".
"Sans formation", Mohamed Amra, aujourd'hui père d'un petit garçon, "n'a jamais travaillé", note l'IGJ. Son activité semble davantage délictuelle, qualifiée de "moyenne délinquance".
Elle "dérive vers la violence" dès 2015, et des poursuites ultérieures noircissent son profil judiciaire: séquestration de plusieurs personnes en 2019, tentative de meurtre en 2021...
Sa mise en examen en septembre 2023, pour complicité de meurtre en bande organisée, constitue "le marqueur judiciaire de sa véritable envergure de délinquant impliqué dans la criminalité organisée", selon le rapport. "La date des faits, le 17 juin 2022, révèle de surcroit qu'il y a participé depuis sa cellule du centre pénitentiaire Paris-La Santé".
- "Dangerosité grandissante" -
Dans le cadre de cette information judiciaire, sa cellule est sonorisée - signe "d'une dangerosité grandissante" pour l'IGJ. Le magistrat constate alors que Mohamed Amra parvient à poursuivre "ses activités de trafic de produits stupéfiants en ayant recours à la plus grande violence" depuis la prison.
Derrière les barreaux, il voit sa prise en charge évoluer, mais ne sera pas classé détenu particulièrement signalé (DPS).
En "détention ordinaire" jusqu'en septembre 2023, il parvient à exploiter les "failles" de la prison de La Santé, selon l'IGJ, et possède téléphones portables et produits stupéfiants en cellule. Il est plusieurs fois envoyé au quartier disciplinaire.
Transféré à Marseille à partir du 26 septembre 2023, il est placé à l'isolement, change une à deux fois par mois de cellule, et fait l'objet de fouilles.
Son escorte passe à un "niveau réservé aux personnes détenues dont le profil requiert une sécurisation particulière (...) et qui implique la présence de trois agents et un conducteur", souligne l'IGJ.
Il est transféré à Evreux en avril 2024.
Les forces de l'ordre découvrent qu'il a mis un contrat potentiel sur la tête d'un surveillant.
Il est alors placé sous surveillance renforcée le 5 mai 2024, et change de cellule "tous les trois jours".
Les personnels découvrent qu'il en a photographié les barreaux.
Le 13 mai, sa cellule est fouillée: un barreau a été scié. Une enquête est ouverte.
Le 14, il parvient à s'évader.
Dans son rapport, l'Inspection avait notamment conclu que l'administration pénitentiaire avait évalué de façon "adaptée" le comportement de Mohamed Amra, mais que sa véritable dangerosité, constatée par les magistrats instructeurs, "aurait dû être révélée aux établissements pénitentiaires qui en assuraient successivement la garde aux fins de prendre toute mesure de sécurisation".
L'exécutif en a fait depuis le symbole des narcotrafiquants à mettre à l'isolement total dans une prison de haute sécurité, afin d'éviter une nouvelle "affaire Amra".
Par Clara WRIGHT / Paris (AFP) / © 2025 AFP