Après un revers la veille, le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau a obtenu vendredi gain de cause à l'Assemblée sur une des mesures phares du texte visant à lutter contre le narcotrafic, dont l'examen marathon se poursuivra finalement la semaine prochaine après avoir pris du retard.
Face au grand nombre d'amendements restants, la décision a été prise dans la soirée de continuer lundi après-midi les débats, qui devaient initialement s'achever vendredi.
La proposition de loi sénatoriale, très dense, a suscité de longues discussions toute la semaine, rallongées par une panne temporaire du système de vote des députés.
Une fois celui-ci réparé vendredi matin, les élus ont approuvé une mesure destinée à protéger les enquêteurs et informateurs mais jugée attentatoire aux droits de la défense par les avocats pénalistes et la gauche.
Cette disposition prévoit la création lors des enquêtes d'un "procès-verbal distinct", ou "dossier-coffre", pour ne pas divulguer à la défense certaines informations sur la mise en œuvre de techniques spéciales d'enquête (sonorisation, captation des données informatiques...) telles que la date, l'horaire, le lieu de leur mise en œuvre, ou l'identité de la personne ayant concouru à l'installation.
Défendue comme "vitale" par Bruno Retailleau, cette mesure avait été supprimée en commission.
Le rapporteur Vincent Caure (Renaissance) et le gouvernement ont proposé des amendements de réécriture pour mieux l'encadrer, tenant compte d'un avis du Conseil d'Etat, qui avait recommandé de restreindre "le dossier-coffre" aux cas de nature à mettre en danger la vie ou l'intégrité physique d'une personne.
Plusieurs députés du Nouveau Front populaire se sont interrogés sur l'utilité de la mesure, alors qu'il est déjà possible d'anonymiser les témoignages et l'identité des enquêteurs.
Mais son adoption était bienvenue pour M. Retailleau, alors que les députés avaient refusé de rétablir jeudi une autre mesure phare du texte, prévoyant d'obliger les plateformes de messageries cryptées à rendre les messages des narcotrafiquants accessibles aux enquêteurs.
Pour le ministre, également candidat à la présidence des Républicains, le texte a valeur de test et lui permettrait de défendre son action dans le gouvernement de François Bayrou.
- Poids du RN -
Plus tard dans la journée, les députés ont approuvé un article lui aussi vivement contesté par la gauche, qui permettrait au préfet de prononcer une "interdiction de paraître" d'un mois maximum dans les lieux liés à des activités de trafic de stupéfiants pour les personnes y participant.
Le préfet pourra aussi saisir un juge pour faire expulser de son logement toute personne dont les agissements en lien avec des activités de trafic de stupéfiants troublent l'ordre public.
Les députés du Nouveau Front populaire se sont notamment alarmés d'une mesure qui impacterait, au-delà du trafiquant, les membres de sa famille.
"Le droit au logement est un droit constitutionnel. L'intérêt supérieur de l'enfant n'est pas indifférent aux décisions que nous avons à prendre", a déclaré le président du groupe PS Boris Vallaud.
Les débats se sont tenus vendredi dans un hémicycle clairsemé, où l'absence de nombreux députés macronistes a été relevée.
"Si les dossiers-coffres ont été rétablis, c'est grâce à nous", a déclaré le député Rassemblement national (RN) Michaël Taverne. "Vous étiez où, toute cette semaine ? Vous n'étiez pas là."
Accusés par le député LFI Antoine Léaument de faire alliance avec le RN, les députés du bloc central ont rétorqué, par la voix de l'élue MoDem Geneviève Darrieussecq, être une "force d'équilibre".
- Fermetures administratives -
L'Assemblée a également adopté un article permettant aux préfets de décider la fermeture administrative de commerces soupçonnés de blanchiment, pour une durée allant jusqu'à six mois, éventuellement prolongée six mois par le ministre de l'Intérieur.
"Un excès de pouvoir administratif", selon le député écologiste Pouria Amirshahi. Et fondé uniquement sur "du soupçon", ont ajouté des députés insoumis.
A une voix près, un amendement RN a été adopté permettant aux maires de procéder à de telles fermetures administratives, ramenées dans ce cas à un mois. Mais deux députés ont indiqué s'être trompés lors du vote -- une erreur possiblement révélatrice de la fatigue de la semaine. Une deuxième délibération pourrait avoir lieu en fin d'examen du texte.
Par Stéphanie LEROUGE, Lucie AUBOURG / Paris (AFP) / © 2025 AFP