L'examen du projet de loi Asile-immigration se poursuit à l'Assemblée nationale dans un contexte houleux. Loin de faire l'unanimité et contesté jusque dans les rangs même de la majorité, le texte fait l'objet de nombreuses critiques, notamment de la part d'associations d'aide aux migrants. Certaines d'entre elles reprochant à Gérard Collomb d'ignorer les réalités du terrain et les situations de détresse dans lesquelles vivent certains migrants. Ce quotidien, Pierre-Alain Mannoni (Ingénieur en géographie et écologie marine à l'Université de Nice) y a été confronté le 16 octobre 2016 lorsqu'il a croisé le chemin de trois migrantes blessées, dans la Vallée de la Roya (Alpes-Maritimes). Inquiets pour la santé de ces trois femmes, il avait alors pris la décision de les faire monter à bord de son véhicule pour les emmener recevoir des soins à l'hôpital de Marseille. C'est sur ce trajet qu'il s'est fait arrêter par les forces de l'ordre. Pour ce geste de solidarité, la cour d'appel d'Aix-en-Provence lui avait infligé 2 mois d'emprisonnement avec sursis en septembre 2017, alors qu'il avait pourtant été relaxé en première instance par le tribunal de Nice, trois mois plus tôt.
"La loi a été détournée pour condamner un citoyen lambda"
Joint par téléphone, l'intéressé a bien voulu revenir sur cette histoire. "J'étais en voiture, je rentrais chez moi et je me suis arrêté dans un local qui hébergeait des migrants. C'est là que je suis tombé sur ces trois femmes qui étaient bien mal en point. Il y en avait une qui avait une rotule cassée, une autre qui avait des brûlures au troisième degré et la troisième avait vu sa cousine mourir, percutée par un camion", nous a-t-il d'abord raconté. "Il ne fallait pas qu'elles restent là, elles étaient en danger. On m'a proposé de les aider mais, de toute façon, quand je les ai vues, pour moi il fallait le faire pour ne pas les abandonner à leur sort. Je les ai prises dans ma voiture, d'abord pour les emmener chez moi afin qu'elles dorment au chaud, qu'elles mangent et que je puisse déjà leur prodiguer les premiers secours. Puis pour qu'elles se fassent soigner correctement à l'hôpital à Marseille", a-t-il poursuivi.
"La police m'a contrôlé au péage avec les trois femmes à l'arrière (...), je ne pensais pas du tout être arrêté. J'ai expliqué la situation, que c'était une urgence et malheureusement, la police ne les a pas prises en charge correctement. Elle les a interpellées et les a envoyées en Italie sans autre forme de procès", nous a-t-il ensuite confié, encore marqué manifestement par l'événement. Et l'intéressé de raconter comment tout s'est alors enchaîné, depuis son arrestation jusqu'à sa condamnation. "J'ai passé 36 heures en garde à vue. J'ai été relaxé en première instance parce que la justice a considéré qu'il y avait un danger pour leur intégrité physique, donc qu'il s'agissait d'assistance à personne en danger. Puis, le procureur a fait appel et j'ai été condamné à 2 mois de prison avec sursis pour ce délit de solidarité. Ils se sont servis d'un article de loi écrit pour les passeurs (…) ce qui veut dire qu'ils ont détourné la loi pour condamner un citoyen lambda qui s’est retrouvé dans une situation d’aide à personne en danger", a-t-il, ainsi déploré.
"La société glisse vers un individualisme qui tue"
Ce verdict, Pierre-Alain Mannoni a beaucoup de mal à le digérer. Surtout, il considère qu'en agissant de la sorte, la justice "envoie un signal très grave à la population". "Il y a un glissement dangereux de la part des autorités puisque le principe de fraternité et de solidarité fait partie de notre culture, de notre tradition. Aujourd’hui, il y a une volonté politique de casser cette tradition d'accueil et je trouve que c'est très dangereux car ce sont des principes du vivre ensemble. La France est un pays où l'on ne vit pas trop mal ensemble, mais si on commence à utiliser la loi pour pousser les gens à s'ignorer et laisser des personnes en danger, alors on va se retrouver dans une société complètement individualiste et on va laisser les gens mourir dans la rue (…) La société glisse vers un individualisme qui tue", a-t-il ainsi prévenu. "J'ai été puni parce que j’ai été solidaire (…) Jacques Toubon l'a répété, il n'y a pas de crise migratoire et le nombre de personnes qui demandent l'asile en France n'a quasiment pas augmenté ces dernières années. Donc c'est vraiment instrumentaliser les exilés à des fins politiciennes, c'est terrible !", a-t-il encore insisté.
C'est pour toutes ces raisons que Pierre-Alain Mannoni considère la loi comme inadaptée. "Il faut d'abord abroger le délit de solidarité parce que c'est une atteinte terrible aux droits de l'Homme (...) Il faut se poser la question de l'immigration en distinguant l'asile. Ceux qui demandent l'asile sont des personnes qui cherchent un refuge parce qu'elles fuient des situations indignes. L'asile et l'immigration sont deux choses différentes. On ne peut pas choisir de refuser l'asile à des personnes qui en ont besoin, sinon ça nous retombera dessus un jour. Cette loi n'est pas la bonne !", a-t-il conclu.
Propos recueillis par Juliette de Noyelle