Un parcours "précurseur": victimes d'agressions sexuelles par un frère de la communauté de Saint-Gabriel alors qu'ils étaient enfants, Gilles Peuzé et Michèle Le Reun-Gaigné sont allés, avec leur collectif, jusqu'au pape pour se faire entendre, et ils oeuvrent désormais à prévenir d'autres cas.
A Lourdes, où ils participent lundi et mardi au colloque de la Conférence des évêques de France (CEF) contre les violences sexuelles, ils racontent à l'AFP leur combat jalonné de premières.
Tous deux ont été agressés par le frère Gabriel Girard dans des écoles de la congrégation: Gilles Peuzé à Issé (Loire-atlantique) en 1967, alors qu'il avait 8 ans; Michèle Le Reun-Gaigné à Loctudy (Finistère) en 1969, à l'âge de 9 ans.

Michèle Le Reun-Gaigné de l'"Association pour la mémoire et la prévention des abus sexuels dans l'Eglise catholique de l'Ouest" pose le 31 mars 2025 à Lourdes, dans les Hautes-Pyrénées
Valentine CHAPUIS - AFP
"Ils ont tué notre enfance", explique Michèle, en dénonçant "cette omerta qui a pu durer, cette association de malfaisants".
"L'agresseur était muté pour protéger la congrégation, l'Eglise a donné ces enfants en pâture", ajoute Gilles.
Une cinquantaine d'enfants ont été victimes de viols ou d'agressions sexuelles dans les écoles de cette communauté à Issé, Loctudy et Chavagnes-en-Paillers (Vendée), de 1950 au milieu des années 1970.
Une vingtaine d'agresseurs (tous décédés) ont été identifiés. Le frère Gabriel Girard a agressé à lui seul au moins une vingtaine d'enfants.
Cinquante ans plus tard, le rapport de la Ciase (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Eglise), faisant état de 330.000 enfants victimes depuis les années 50, a été un "séisme", qui a permis d'enclencher pour le collectif un processus de réparation unique: "on a été précurseurs", sourit Gilles Peuzé.
En mai 2022, les Frères de Saint-Gabriel ont reconnu lors d'une cérémonie des actes de pédocriminalité sur une cinquantaine de personnes - une première à l'époque.
"C'était un moment unique. On a été crus, et reconnus. Un moment de soulagement", explique Gilles Peuzé.
Autre première dix-huit mois plus tard: une vingtaine de victimes sont reçues par le pape François, le 28 novembre 2023.

Gilles Peuzé de l'"Association pour la mémoire et la prévention des abus sexuels dans l'Eglise catholique de l'Ouest" pose le 31 mars 2025 à Lourdes, dans les Hautes-Pyrénées
Valentine CHAPUIS - AFP
"Il nous a dit: +Je vous demande pardon au nom de l'Église+. Personne ne nous avait demandé pardon avant", raconte Gilles Peuzé, encore ému.
Antoine Garapon, le président de la Commission reconnaissance et réparation (CRR), voit là "une démarche pionnière", du fait notamment de la configuration des abus, avec "un très gros abuseur", le frère Gabriel.
Mais les anciennes victimes ont aussi eu la chance d'avoir pour interlocuteur, à la congrégation, le provincial (responsable) Claude Marceau, "qui a compris comment bien se comporter avec des victimes", ajoute M. Garapon.
- "Nouvelle bombe" -
"Les frères de Saint-Gabriel ont vite compris que ça allait leur coûter très cher, mais ils ont joué le jeu, ils ont payé", ajoute M. Garapon.
"Claude Marceau voulait prendre ses responsabilités", explique Michèle Le Reun-Gaigné, en racontant la "relation d'amitié" progressivement tissée avec l'ancien provincial, désormais membre de l'association.
Car les victimes ont fondé en octobre 2023 l'"Association pour la mémoire et la prévention des abus sexuels dans l'Eglise catholique de l'Ouest" (Ampaseo).
"On voulait faire la mémoire de notre histoire, mais aussi de la prévention pour que ce que l'on a vécu ne se reproduise pas pour les générations futures", explique Gilles Peuzé.
L'Ampaseo défend "une approche collaborative avec les autorités religieuses" et "une communication active" pour aider à la prévention.
Dans cette optique, les anciennes victimes ont fait l'objet d'un documentaire ("Le prix d'une vie"), ont rencontré les évêques de la province ecclésiastique de l'Ouest...
Depuis les révélations sur Notre-Dame-de-Bétharram, "de plus en plus de victimes nous sollicitent", raconte Michèle Le Reun-Gaigné, car "les victimes veulent parler aux victimes".
L'association Ampaseo, qui a envoyé un message de soutien au collectif de Bétharram, observe attentivement la réaction des autorités ecclésiales.
"Ça vient de péter à la figure de l'Eglise, ils sont dans une situation de crise. Bétharram, c'est une nouvelle bombe", estime Gilles Peuzé, qui l'affirme: "Il y en aura d'autres. Ça, c'est inévitable".
Par Claire GALLEN / Lourdes (AFP) / © 2025 AFP