Deux ex-salariées d'une crèche People&Baby ont été condamnées lundi à Lille à dix mois de prison avec sursis pour des violences sur des enfants, une affaire jugée à huis clos en plein débat médiatique sur les dysfonctionnements de certaines crèches privées.
La Cour a estimé que les "conséquences néfastes" de ces violences avaient pu être établies "par des expertises psychologiques et des témoignages de parents", a indiqué la juge lors du délibéré.
Avant l'audience du 23 septembre, les parties civiles avaient décrit des privations de repas, des humiliations, des mises à l'isolement, certaines évoquant aussi des maltraitances physiques.
L'ancienne directrice de cette crèche de Villeneuve-d'Ascq (Nord) a été jugée coupable de violences sur trois enfants et s'est également vu interdire d'exercer une activité en contact avec des mineurs pendant trois ans.
L'ex-infirmière, 35 ans, reconnue coupable de violences sur huit enfants, a été également condamnée à l'interdiction d'exercer une activité en contact avec des mineurs pendant cinq ans.
Le tribunal est allé au-delà des réquisitions pour la première des deux femmes, contre laquelle le parquet avait réclamé six mois de prison avec sursis, mais il est resté en deçà pour l'infirmière, le parquet ayant demandé douze mois de sursis.
- "Travail à la chaîne" -
Notant dans ses motivations l'"empathie" de l'ex-infirmière envers les enfants et au contraire la "rigidité" de l'ex-directrice, la Cour a aussi pointé des "tensions" liées à la charge de travail au sein de la structure et le "travail à la chaîne" dénoncé par une ancienne salariée.
Les deux femmes étaient absentes lors du délibéré lundi et leurs avocats n'ont pas souhaité réagir.
"C'est une peine d'avertissement avec un quantum suffisamment conséquent pour être dissuasif", a réagi Patrick Lambert, avocat d'une partie civile, estimant que le procès permettait de "sensibiliser les professionnels de la petite enfance sur l'accompagnement qui doit être le leur".
"Mes clients sont contents (...) d'avoir été reconnus comme victimes et que les faits aient été établis", a réagi un autre avocat de parties civiles, Me Florent Mereau.
Le procès s'est déroulé quelques jours après la sortie du livre "Les Ogres" de Victor Castanet, une enquête qui dénonce le modèle "low cost" de plusieurs groupes de crèches privées, en particulier People&Baby.
Le tribunal avait accordé un huis clos à la demande de parties civiles.
Les prévenues étaient poursuivies pour violences volontaires, physiques et psychologiques, sans incapacité, sur neuf enfants au total au sein de la crèche située à Villeneuve-d'Ascq, dans la banlieue lilloise.
Les faits reprochés sont "des attitudes et gestes inadaptés à la prise en charge d'un enfant en bas âge", avait souligné le tribunal.
Me Fatima En-Nih, avocate de l'infirmière, avait fustigé le livre d'enquête du journaliste Victor Castanet, qui consacre plusieurs chapitres à la crèche de Villeneuve-d'Ascq, la défense déplorant un "rouleau compresseur médiatique".
Le journaliste s'était rendu au tribunal, estimant que le procès "emblématique (...) raconte les dysfonctionnements de ce groupe et plus largement d'un certain nombre de groupes de ce secteur".
"Il n'est pas question ici de vengeance, de lapidation ou de récupération médiatique", avait estimé Me Lambert, représentant une famille avec deux enfants qui dénonçait "des maltraitances psychologiques, de l'isolement, des défauts d'alimentation" et des suspicions de violences physiques, une enfant ayant "été retrouvée avec une bosse au niveau du front".
"Aujourd'hui, mon enfant a huit ans et a des troubles psychologiques", avait indiqué à l'AFP en amont du procès un parent qui s'était constitué partie civile. Il accusait l'infirmière auxiliaire d'avoir enfermé son enfant dans le noir. Selon lui, les séquelles sont multiples: agressivité, difficultés à l'école, peur du noir, angoisses.
Sous tension, le secteur des crèches fait face depuis plusieurs années à une pénurie critique de professionnels et à des dysfonctionnements imputés à un mode de financement complexe aux effets jugés "pervers".
Par Zoé LEROY / Lille (AFP) / © 2024 AFP