Six et 12 mois de prison avec sursis ont été requis lundi contre deux ex-salariées d'une crèche People&Baby jugées à Lille pour des violences sur des enfants, après une audience à huis clos, en plein débat médiatique sur les dysfonctionnements de certaines crèches privées.
Le procès s'est déroulé dans la foulée de la sortie du livre "Les Ogres" de Victor Castanet, une enquête qui dénonce le modèle "low cost" de plusieurs groupes de crèches privées, en particulier People&Baby.
La décision est mise en délibéré au 7 octobre.
Face à une salle comble en début d'audience, les avocates de la défense avaient demandé le renvoi, dénonçant un "rouleau compresseur médiatique".
Le tribunal a décidé de maintenir les débats, estimant qu'il est "temps de juger cette affaire", tout en accordant un huis clos à la demande de parties civiles.
"Aujourd'hui, ce n'était pas le procès de People&Baby", a insisté Me Fatima En-Nih, avocate d'une ex-salariée, infirmière, à l'issue de l'audience: "il n'était pas question de faire de ces deux-là les fusibles de tout un système dénoncé".
"Ce qui a été pointé, c'est le manque de formation, peut-être la fatigue", a rapporté de son côté Me Florent Mereau, avocat de parties civiles.
Les prévenues sont poursuivies pour violences volontaires, physiques et psychologiques, sans incapacité, sur neuf enfants au total au sein de la crèche située à Villeneuve-d'Ascq, dans la banlieue lilloise. Les parties civiles décrivent des privations de repas, des humiliations, de l'isolement et certains soupçonnent des maltraitances physiques.
Les prévenues "contestent les faits qui leur sont reprochés", a martelé Me Blandine Lejeune. "Elles sont dévastées".
"Ce sont des enfants qui ne sont pas juste rentrés de la crèche avec un bleu qui disparaît en quelques jours", avait souligné avant l'audience Me Alexandre Schmitzberger, mettant en avant l'attente des familles, cinq ans après les faits. "Nous avons des enfants qui développent des troubles psychomoteurs, des troubles du comportement, qui se retrouvent avec des retards d'évolution (…) parfois de deux ans".
Le parquet a requis six mois de prison avec sursis envers l'ancienne directrice de crèche, 48 ans, poursuivie pour des violences sur trois enfants, qui s'est présentée le visage contrit, une veste noire sur les épaules.
Douze mois de prison avec sursis ont été requis envers l'ex-infirmière de 35 ans, cheveux noués en natte rousse, accusée de violences sur huit enfants.
Le parquet a également demandé au tribunal de Lille de décréter une interdiction d'exercer pendant cinq ans pour les deux prévenues.
- "Dysfonctionnements" -
Les deux femmes sont soupçonnées d'avoir adopté "des attitudes et gestes inadaptés à la prise en charge d'un enfant en bas âge", a rappelé la cour lundi.
Me En-Nih a largement fustigé le livre d'enquête du journaliste Victor Castanet, qui consacre plusieurs chapitres à la crèche de Villeneuve-d'Ascq. "Depuis quelques jours, toute notre énergie est mobilisée à fuir la presse", a-t-elle martelé.
Le journaliste s'est rendu au tribunal, assurant apporter son soutien aux familles. "Ce procès est évidemment emblématique parce qu'il raconte les dysfonctionnements de ce groupe et plus largement d'un certain nombre de groupes de ce secteur", a-t-il estimé devant les nombreuses caméras présentes.
"Il n'est pas question ici de vengeance, de lapidation ou de récupération médiatique", a néanmoins souligné Me Patrick Lambert. Il représente une famille avec deux enfants qui dénonce "des maltraitances psychologiques, de l'isolement, des défauts d'alimentation" mais aussi des suspicions de violences physiques, une enfant ayant "été retrouvée avec une bosse au niveau du front".
"Aujourd'hui, mon enfant a huit ans et a des troubles psychologiques", a également expliqué à l'AFP un parent qui s'est constitué partie civile et accuse l'infirmière auxiliaire d'avoir enfermé son enfant dans le noir. Selon lui, les séquelles sont multiples: agressivité, difficultés à l'école, peur du noir, angoisses.
Sous tension, le secteur des crèches fait face depuis plusieurs années à une pénurie critique de professionnels et à des dysfonctionnements imputés à un mode de financement complexe aux effets jugés "pervers".
Par Maelys SOURT / Lille (AFP) / © 2024 AFP