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Philippe Juvin : "Je crains qu'on ne soit pas techniquement prêt au dépistage massif"

Philippe Juvin, Professeur de médecine, chef du Service des urgences de l’Hôpital Pompidou à Paris et maire (LR) de La Garenne-Colombes, était l’invité du “petit déjeuner politique” de Patrick Roger le 10 avril sur Sud Radio, à retrouver du lundi au vendredi à 7h40.

Philippe Juvin, interviewé par Patrick Roger sur Sud Radio le 10 avril à 7h40. Professeur de médecine, chef du Service des urgences de l’Hôpital Pompidou à Paris,

Philippe Juvin : "le risque du déconfinement est l'arrivée d'une deuxième vague, qui est tout l'enjeu"

Pour la première fois, une faible baisse du nombre de patients admis en réanimation a été constatée jeudi 9 avril. Le pic de l'épidémie a-t-il été franchi ? "On ne sait pas si le pic de l'épidémie est franchi, confie Philippe Juvin, Professeur de médecine, chef du Service des urgences de l’Hôpital Pompidou à Paris, à Patrick Roger. Nous notons depuis plusieurs jours une diminution du nombre de patients nouveaux qui arrivent aux urgences. Jusqu'à jeudi 9 avril, le nombre de patients en réanimation était stable, qui avait tendance à s'améliorer, reconnaît-il. On est peut-être au pic, mais dans un vrai pic, si ça monte très vite, ça descend aussi très vite et ici, ça ne baissera pas très vite, on sera probablement sur un plateau qui va durer un certain temps, prévient-il.

 

Tant qu'on n'aura pas vu les effets du déconfinement, on ne pourra rien dire, explique le Professeur, le risque du déconfinement est l'arrivée d'une deuxième vague, qui est tout l'enjeu. Philippe Juvin rappelle que selon une étude britannique, le confinement a sauvé environ 2.500 vies en France au 28 mars, probablement plus depuis. Le sujet concerne maintenant les gens restés chez eux enfermés, qui se sont protégés, qui ont protégé le système de santé, qui n'ont pas rencontré le virus et qui ne sont pas immunisés. Quand ils vont sortir, le risque est qu'ils s'infectent et il faudrait que ça se fasse, [mais] pas tous en même temps, explique-t-il, pour éviter une deuxième vague.

Face à une épidémie : soit il faut un vaccin, soit qu'environ 75% de la population ait rencontré le virus et soit immunisée, rappelle le Professeur. Tant qu'il n'y aura pas cette proportion importante de Français immunisés, il y aura un risque de redépart de l'épidémie. Et on en est loin manifestement".

 

"La recherche scientifique semble être prise en otage par le monde médiatique"

Le chef de l'État a-t-il eu raison d'aller voir le professeur Raoult, le défenseur de la chloroquine, jeudi 9 avril ? "Emmanuel Macron est libre d'aller et venir, estime Philippe Juvin. Quand il y avait la guerre, on était content que Clémenceau aille dans les tranchées. Sur le travail du professeur Raoult, je suis ennuyé pour répondre, confie-t-il. Didier Raoult est un scientifique reconnu, ce n'est pas un zozo qui débarque de la planète Mars ! Il faut écouter mais les résultats de son étude sont encore déroutants : sans médicament, 98% des gens atteints du Covid-19 guérissent naturellement et c'est à peu près le taux de guérison observé avec la chloroquine. Pour être certains qu'un médicament fonctionne, et que ce ne soit pas l'effet du hasard ou de l'évolution naturelle de la maladie, il faut comparer ce médicament à rien. C'est seulement en voyant si ceux qui bénéficient de ce médicament guérissent plus vite ou mieux que ceux qui n'ont rien reçu qu'on peut dire que ça marche. Or, ça n'a pas été fait. On observe des taux de guérison importants avec la chloroquine, mais sont-ils supérieurs à ce qu'il se serait passé sans chloroquine ? Je ne sais pas répondre !" insiste-t-il.

 

Philippe Douste-Blazy a demandé l'autorisation pour les médecins de ville de prescrire de la chloroquine. "Il y a deux périodes dans la maladie, tient à préciser Philippe Juvin. Une période où il faut tuer le virus, et une période où l'atteinte pulmonaire, qui fait la gravité de la maladie, n'est plus liée à la présence physique du virus mais à un phénomène qui s'est autonomisé d'inflammation des poumons. Didier Raoult et Philippe Douste-Blazy demandent que la chloroquine soit donnée avant la phase d'inflammation du poumon, qui est un peu 'hors contrôle'. Ils ont en théorie raison, mais ils ne l'ont pas prouvé", regrette-t-il. Une des hypothèses est que si on donne ce médicament, on diminue la gravité de la maladie, mais ça n'a pas été prouvé, ajoute-t-il. Pourquoi ne fait-on pas de groupe témoin dans l'étude sur la chloroquine ? Je ne comprends pas pourquoi ça n'est pas fait. Ce qui est très dommage, c'est que la recherche scientifique semble être prise en otage par le monde médiatique. Il y a probablement aussi autour de Didier Raoult quelques jalousies qui ne facilitent pas l'analyse sereine, estime-t-il".

"Il faudrait un dépistage massif de la population, mais je crains qu'on ne soit pas prêt à le faire techniquement"

Le chef de l'État doit s'exprimer lundi 13 avril à 20h. "Emmanuel Macron doit avoir des annonces rapides sur les lieux de confinement obligatoire : Ehpad, hôpitaux psychiatriques, prisons, affirme Philippe Juvin. Il faut tester massivement et séparer les plus et les moins, si on ne le fait pas, l'hécatombe va continuer. Il y a également un message de santé publique à porter, qui concerne les patients qui n'ont pas le Covid-19, chez lesquels on observe une surmortalité et une augmentation des complications, car ils ne se traitent pas ou mal. On a aujourd'hui à l'hôpital une vague de patients indemnes du Covid-19 qui arrivent dans des états très graves. Il faut continuer à se faire soigner".
Selon lui, "le Président donnera aussi des pistes sur le déconfinement. Il faudra donner des masques et tester ceux qui ont rencontré le virus et ceux qui ne l'ont pas rencontré et procéder à un déconfinement par vagues". Faut-il mettre en place un dépistage massif, par villes ou par régions prioritaires ? "C'est indispensable, confirme le Professeur, mais il faut savoir ce que l'on fait du résultat. Il n'y a pas de raison de rester confiné si on observe que vous avez déjà été en contact avec le virus. Les personnes non immunisées pourront sortir avec précaution, et pas toute la population négative en même temps. Ce qui peut aider est un dépistage massif de la population, mais je crains malheureusement qu'on ne soit pas prêt à le faire techniquement"
Concernant les masques, "quand vous sortez à la boulangerie, couvrez-vous la bouche et le nez, recommande Philippe Juvin, pour éviter de contaminer l'environnement. Portez un masque, artisanal ou pas, pour éviter de salir l’environnement".
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