Lors de sa première visite chez le couple Pelicot, à 22 ans, Charly A. a sans doute suivi le "script normatif véhiculé par le porno sur internet", selon un expert-psychiatre. Mais il y est ensuite retourné cinq fois et il maintient avoir cru à un scénario libertin.
30 ans désormais, Charly A. fait partie des quatre parmi les 50 coaccusés au procès des viols de Mazan à avoir répondu six fois à l'invitation de Dominique Pelicot pour venir violer son épouse à leur domicile conjugal, lorsqu'il l'avait assommée d'anxiolytiques.
Mais, entre trous de mémoire, réponses monosyllabiques et silences embarrassés, il a persisté dans sa version vendredi, devant la cour criminelle de Vaucluse, à Avignon: jusqu'au bout il a cru que Gisèle Pelicot faisait semblant de dormir, selon le scénario que lui aurait présenté Dominique Pelicot, sur le site de rencontres coco.fr.
À la demande des avocats de Mme Pelicot, deux photos de la première visite de Charly A. s'affichent sur les écrans de la salle d'audience. Mme Pelicot semble dans un sommeil profond et le jeune homme la pénètre par derrière. Nous sommes dans la nuit du 20 au 21 janvier 2016.
À l'époque, l'accusé est "clairement immature, avec une dimension autistique et une timidité très marquée", a expliqué dans la matinée le Dr Mathieu Lacambre, expert-psychiatre: et s'il est venu, c'est sans doute pour suivre le "script normatif véhiculé par le porno sur internet", ce porno qu'il consomme alors à haute dose.
Dans le porno "tout est très standardisé, normé, la femme est +l'objet à jouir+", explique l'expert. Et, grâce au "contrat pervers" que lui offre Dominique Pelicot, "il a la possibilité de jouir d'une séquence sexuelle". Mais "Charly A. ne chasse pas, ce n'est pas un prédateur sexuel".
Et le médecin de rappeler qu'un enfant sur deux a déjà vu du porno à son entrée au collège et que 20 à 30% des consommateurs de porno sont des mineurs. "Le premier support médiateur d'entrée dans la sexualité, désormais, c'est le porno", insiste-t-il, "assez inquiet pour les jeunes adultes aujourd'hui".
- "Je reconnais l'acte, pas l'intention" -
"Mais si on n'est pas responsable de ses fantasmes, on est responsable de ses actes", ajoute le psychiatre. Et Charly A. est revenu cinq fois à Mazan.
"J'arrivais pas à dire non, M. Pelicot était insistant, entreprenant, rassurant", justifie l'accusé, ajoutant: "peut-être que j'étais facile à manipuler".
"Je n'ai pas eu l'impression de le soudoyer", rétorque le mari, persistant à dire que tous ses "invités" savaient que sa femme serait endormie "à son insu".
Sur les écrans de la salle sont maintenant diffusées deux vidéos de la deuxième visite de Charly A. à Mazan. Le 7 décembre 2018.
"Ce jour là c'est l'anniversaire de ma femme", précise Dominique Pelicot, à la question d'un avocat.
Sur la première vidéo, Charly A. impose une fellation à Gisèle Pelicot, totalement inerte, pendant que son mari lui tient la bouche ouverte. Sur la seconde, il la pénètre par derrière pendant que Dominique Pelicot lui inflige à son tour une fellation.
"Une main vous est tendue, par Mme Pelicot à travers moi", l'interroge Me Stéphane Babonneau, un des deux avocats des parties civiles: "cette main tendue, pouvez-vous la prendre et reconnaître que vous avez violé Mme Pelicot ?"
"Je reconnais l'acte, pas l'intention", répond l'accusé: "Non, je n'ai pas l'intention de violer madame".
Charly A. reviendra une nouvelle fois en 2018, puis trois fois en 2020. La dernière, dans la nuit du 9 au 10 juin 2020, ils seront trois hommes invités par M. Pelicot à venir abuser de son épouse endormie. Mais Charly A. n'a pas croisé les deux autres.
Au total, ils sont 50 à avoir répondu à l'offre de Dominique Pelicot, décrit comme "chef d'orchestre" de ce dossier hors norme, symbolique des violences faites aux femmes et de la question de la soumission chimique. 50 hommes recrutés sur internet, pour la plupart jugés pour viols aggravés, faits pour lesquels ils encourent jusqu'à 20 ans de réclusion.
Après ce 10 juin 2020, Charly A. ne répondra plus aux sollicitations du mari. "Le déclic, c'est quand il me demande de faire pareil avec ma mère", explique l'accusé.
De fait, sur l'insistance de Dominique Pelicot qui lui aurait proposé de répliquer sur quelqu'un de son entourage le procédé qu'il utilisait sur son épouse Gisèle, le jeune homme avait évoqué sa mère. Mais il maintient n'être jamais passé à l'acte, même si l'accusé principal lui avait donné des médicaments pour le faire.
"Je le confirme expressément, je n'ai jamais, jamais donné de médicaments à ma mère". En tous cas, il n'est pas jugé pour ça, mais pour six viols de Gisèle Pelicot.
Par Olivier LUCAZEAU / Avignon (AFP) / © 2024 AFP