Appelés mercredi à défendre des hommes accusés d'être venus six fois à Mazan pour violer Gisèle Pelicot, des avocats ont invoqué le rôle manipulateur du "loup" Dominique Pelicot, décrit comme "un faiseur de violeurs".
Désormais ex-mari de Gisèle, Dominique Pelicot, qui a reconnu l'avoir droguée pour la violer et la livrer à des dizaines d'inconnus recrutés via Internet, pendant une dizaine d'années, reste la plupart du temps impassible, la tête appuyée sur sa main, quand les avocats dénoncent "l'ogre", "le loup", "le manipulateur".
Sur le banc des parties civiles, Gisèle Pelicot écoute avec attention. Parfois un geste traduit son agacement ou son indignation à l'écoute d'un argument.
Tout en louant son "courage", "son intelligence" ou "la dignité" de son combat contre les violences faites aux femmes, les avocats de la défense ont pris soin de rappeler, comme Me Emile-Henri Biscarrat, qu'on ne doit pas "juger un fait divers comme un fait de société", ni attendre "un verdict exemplaire".
L'avocat défend Dominique D., 45 ans, chauffeur routier qui a reconnu à l'audience être venu à six reprises à Mazan entre 2016 et 2020, en sachant que la victime était endormie et donc non consentante. Contre cet homme, un des dix venus à plusieurs reprises, l'accusation a requis une des peines les plus lourdes, 17 ans de réclusion criminelle.
"Dix-sept ans requis contre Dominique D. ! Vous avez même oublié qu'il avait reconnu à la barre !", s'est insurgé l'avocat, rappelant que dans ce dossier il n'y a "pas d'images pédopornographiques", comme celles retrouvées chez d'autres coaccusés contre qui les réquisitions sont moindres.
"Je n'ai pas pu comprendre dans le dossier que monsieur D. ait soumis chimiquement quiconque", comme l'a fait Dominique Pelicot, contre qui l'accusation a requis 20 ans de réclusion, a-t-il ajouté.
- "Situation d'assujettissement" -
"Les experts ont souligné aux audiences que Dominique Pelicot sait manipuler", poursuit Me Biscarrat, nommant ce dernier "le loup": "Dans tout ce qu'il a fait, ce n'est pas ça qui va absoudre monsieur D., mais il y a ce conditionnement", estime l'avocat, demandant à la cour d'alléger la peine requise contre son client.
Outre la jurisprudence des peines pour viols, moins élevées selon lui, il rappelle l'abandon de Dominique D., quand il avait six mois, les pulsions sexuelles qui ont pu selon lui le rendre moins "vigilant", mais aussi son engagement dans l'armée pour des opérations extérieures, et le travail effectué en prison "pour s'amender".
"Ce passé-là, ce vécu-là, je vous demande de le prendre en compte", lance-t-il à la cour, qui doit rendre son verdict le 20 décembre.
"Loin de favoriser l'amendement et la réinsertion des accusés, vous avez cherché à faire un exemple", reproche aussi Me Gaële Guenoun à l'accusation, qui a requis 16 ans contre Jerôme V., 46 ans, employé dans un magasin d'alimentation venu lui aussi six fois commettre des actes sexuels sur Gisèle inconsciente.
Tout en affirmant que Jérôme V. "a tout reconnu" et "exprimé sa honte" et ses excuses auprès de Gisèle Pelicot, elle explique qu'il soit revenu six fois parce qu'il est "tombé dans les mailles du filet de Dominique Pelicot", allant même jusqu'à qualifier ce dernier de "faiseur de violeurs". Sa personnalité forte aurait placé, selon elle, Jerôme V. en "situation d'assujettissement".
"En chargeant Dominique Pelicot, on se dédouane de sa propre responsabilité, on n'assume pas les actes", a regretté auprès de la presse l'avocate de ce dernier, Me Beatrice Zavarro. "Pendant des mois, on (certains coaccusés, NDLR) est venu s'excuser auprès de Mme Pelicot pour rien alors ?", a-t-elle ajouté, regrettant que certains de ses collègues défendent peu les personnalités de leurs clients.
Expliquer le parcours d'homme de son client, Fabien S., marqué par des violences notamment sexuelles tout au long de sa jeunesse, puis par la délinquance, d'où un casier judiciaire déjà chargé, l'avocate Céline Attard s'y est elle attelée, dans une défense sobre: "A l'audience, il s'est excusé en pleurant, il n'est pas venu pour faire pleurer dans les chaumières, c'était dur de fendre son armure", souligne-t-elle, évoquant son "cheminement" pour changer.
Après avoir dit qu'il croyait Mme Pelicot "complice", cet homme, dont le père d'accueil fut condamné pour viols, a compris que non, "qu'elle avait été détruite. Il sait ce que c'est comme victime de ne pas être entendu".
"J'ose demander à la cour de lui tendre la main par une sanction juste et proportionnée", a-t-elle conclu, espérant une peine inférieure aux 16 ans requis pour celui qui est venu une seule fois à Mazan.
Par Isabelle WESSELINGH / Avignon (AFP) / © 2024 AFP