De la "fiction", des malentendus, énormément de "mensonges" mais "aucun système". De retour à la barre mardi pour un dernier interrogatoire, Marine Le Pen s'est à nouveau défendue d'avoir détourné l'argent de l'Europe au profit de son parti.
Très vite au cours d'une tirade introductive d'une heure, elle fait part de son "sentiment", après ce mois de procès où le tribunal correctionnel de Paris a disséqué ce fameux "système" - le mot met Marine Le Pen hors d'elle - qui aurait permis au Rassemblement national (ex-FN) de "soulager les finances" du parti entre 2004 et 2016.
"A maintes reprises, votre opinion était déjà faite, nos arguments évacués (...) ça m'a un peu déstabilisée", assure la triple candidate à la présidentielle.
Après avoir été interrogée en tant qu'eurodéputée mi-octobre, Marine Le Pen est cette fois à la barre avec sa deuxième "casquette", présidente du parti, dont elle a pris la tête après son père Jean-Marie Le Pen en 2011, pour répondre cette fois de complicité de détournement de fonds publics.
"Si on a la conviction qu'il y a un système, que tout est suspect, évidemment que vous allez trouver quelque chose", soutient celle qui déroule son argumentation, réécrivant parfois le dossier, éludant les points qui fâchent.
"On tourne autour d'une dizaine de mails, de SMS, dont on considère qu'ils sont mal rédigés, suspects, maladroits. Mais ça reste une dizaine de mails sur des dizaines de milliers", argue la cheffe de file de l'extrême droite.
- "Je me défends !" -
Quand elle récupère la parole, la présidente Bénédicte de Perthuis fait projeter ces courriers un par un. Marine Le Pen a une explication pour tous.
Celui où le comptable évoque "un passage" d'un assistant parlementaire d'un député "sur" un autre ? "Il a mal compris". Ces "transferts" d'assistants demandés pour que Marine Le Pen puisse embaucher un expert ? "Mal compris" encore.
Celui où sa sœur Yann Le Pen demande si "ce n'est pas risqué que Marine Le Pen me prenne sur" son contrat ? - "Elle avait un problème" avec le fait "d'être sous la direction de sa petite sœur".
Le ton monte régulièrement, quand elle sent que la présidente n'est pas convaincue. "Vous caricaturez mon propos un petit peu quand même !", "on va de fiction en fiction", "je me défends, j'ai le droit ! On est au pénal, on risque des peines extrêmement lourdes !".
"L'objectif, c'est de faire disparaitre un mouvement politique", grince, en regagnant son siège après une suspension d'audience, celle qui encourt une peine de prison, une lourde amende et une peine d'inéligibilité qui pourrait mettre à mal ses ambitions présidentielles pour 2027.
A la barre, elle le martèle plusieurs fois: "jamais" il n'y a eu d'"instruction" pour "vider" les enveloppes des eurodéputés afin de payer des assistants parlementaires "fictifs" qui travaillaient en réalité pour le parti, comme en est convaincue l'accusation.
"Jamais je n'ai dit à un député: +toi, tu vas prendre untel+, c'est faux, c'est un mensonge", assure-t-elle. Tout juste admet-elle avoir eu un "droit de veto" sur les "gens politiquement toxiques", les "nuisibles" ou les "incompétents notoires".
Le Parlement européen avait fait une première estimation de son préjudice financier à trois millions d'euros, mais l'a revu à 4,5 millions au cours du procès.
- "Furax" -
La présidente évoque ensuite une fameuse réunion de l'été 2014, à Bruxelles, où Marine Le Pen aurait annoncé à la vingtaine de nouveaux députés européens qu'ils n'auraient le droit qu'à un seul assistant parlementaire, et que le reste de leur enveloppe serait pour le Front national.
"C'est un mensonge éhonté", une "ignominie", colportée par des gens "furax" animés par la "vengeance", balaie la prévenue.
"Ce que Marine (Le Pen) nous demande équivaut à ce qu'on signe pour des emplois fictifs", écrivait peu après cette réunion un eurodéputé réfractaire au trésorier du parti, Wallerand de Saint-Just. "Je comprends les raisons de Marine, mais on va se faire allumer".
"Je crois bien que Marine sait tout cela...", avait répondu par mail Wallerand de Saint-Just.
"C'est de l'ironie", s'insurge Marine Le Pen. "C'est la lecture littérale d'un mail" où il est rappelé les règles du Parlement européen. "J'aurais préféré qu'il lui réponde: +tu es dingue, va te faire voir+ !"
A 23H00, l'échange se tend à nouveau, toujours au sujet de cette réunion. "Vous avez deux déclarations contradictoires", s'emporte la prévenue, furieuse, qui a "le sentiment" que la présidente ne retiendra pas celle en sa faveur.
"Vous avez beaucoup de sentiments, nous on n'est pas là pour faire du sentiment", rétorque la présidente.
L'audience reprend mercredi avec la suite de l'interrogatoire de Marine Le Pen.
Par Marie DHUMIERES et Anne LEC'HVIEN / Paris (AFP) / © 2024 AFP