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Soupçons de corruption d'un député français: les indices autour d'un Qatar commanditaire se multiplient

Le politologue Nabil Ennasri, mis en examen dans une affaire d'ingérence étrangère présumée, est soupçonné d'avoir corrompu l'ancien député français Hubert Julien-Laferrière. D'après les derniers éléments de l'enquête, une commission qatarie pourrait l'avoir rémunéré.

- - ASSEMBLEE NATIONALE/AFP/Archives

Le politologue Nabil Ennasri, mis en examen dans une affaire d'ingérence étrangère présumée, est soupçonné d'avoir corrompu l'ancien député français Hubert Julien-Laferrière. D'après les derniers éléments de l'enquête, une commission qatarie pourrait l'avoir rémunéré.

Cette affaire retentissante, instruite à Paris, avait débuté après une plainte de BFMTV et une enquête internationale en février 2023 du collectif de journalistes Forbidden Stories. Elle pointait les activités d'une société israélienne, surnommée Team Jorge, spécialisée dans la désinformation au profit de différents clients, dont différents Etats.

Le Parquet national financier (PNF) avait ensuite ouvert une enquête. Jusqu'à maintenant, les enquêteurs avaient seulement identifié les intermédiaires et bénéficiaires présumés de ces schémas de corruption - un journaliste, un lobbyiste, un politologue et un ancien parlementaire ont été mis en examen.

Mais l'enquête a récemment bien avancé: les derniers éléments des investigations, dont l'AFP a eu connaissance, nourrissent l'hypothèse de commanditaires qataris.

- "Contre-feux médiatiques" -

Le spécialiste du Qatar Nabil Ennasri, 42 ans, mis en examen et écroué depuis un an, est soupçonné d'avoir été l'agent de la monarchie qatarie pour influencer la politique et l'actualité françaises.

Lors d'un interrogatoire le 27 septembre dont l'AFP a eu connaissance, le juge d'instruction a confronté M. Ennasri à des notes enregistrées entre 2021 et 2023, qui évoquaient un paiement d'au moins 277.500 euros d'une commission gouvernementale qatarie, National Human Rights Committee (NHRC).

Ces notes laissent "entendre qu'une entité qatarie a pu vous rémunérer", a fait remarquer le magistrat.

"J'ai le souvenir d'un montant de cet ordre-là", a reconnu Nabil Ennasri, mais il lui a été versé par un homme sans lien avec Doha, a-t-il assuré.

M. Ennasri aurait-il pu être financé par le Qatar, à son insu ? "Improbable voire impossible", assure le suspect, auteur de plusieurs ouvrages sur ce pays : jamais cet Etat ne l'aurait rémunéré alors qu'il avait déjà critiqué sa politique publiquement.

C'est "classique en matière de désinformation de justement tenir des propos négatifs à l'endroit des personnes dont on soutient les intérêts", lui a rétorqué le magistrat.

Joint par l'AFP, le NHRC n'était pas joignable dans l'immédiat.

L'avocat de M. Ennasri s'est de son côté indigné d'un "acharnement judiciaire" contre son client, le seul écroué dans ce dossier.

"J'ai le sentiment qu'on le maintient en détention pour lui faire du chantage à la liberté", a-t-il déploré lors d'une conférence de presse mercredi soir.

"Le juge attend que Nabil Ennasri dise s'il existe des commanditaires" des opérations d'influence, "mais la difficulté est que Nabil n'a pas ces réponses", a affirmé l'avocat, qui a annoncé qu'il allait prochainement demander la récusation du magistrat.

- "Jamais été mensualisé" -

Le journaliste Rachid M'Barki, le 2 décembre 2016 à Marrakech, au Maroc

Le journaliste Rachid M'Barki, le 2 décembre 2016 à Marrakech, au Maroc

Fadel SENNA - AFP/Archives

M. Ennasri est soupçonné, d'une part, d'avoir, avec le lobbyiste Jean-Pierre Duthion, corrompu l'ex-journaliste vedette de BFMTV Rachid M'Barki, également mis en examen, pour diffuser à la télévision des brèves controversées sur des pays étrangers.

Et d'autre part, d'avoir corrompu l'ancien député écologiste Hubert Julien-Laferrière pour qu'il intervienne sur des sujets à l'Assemblée nationale, à hauteur de 5.000 euros par mois, d'après les derniers éléments de l'enquête.

Jean-Pierre Duthion, aussi mis en examen, a expliqué au magistrat que le Qatar voulait ainsi "générer des contre-feux médiatiques en amont de la Coupe du Monde du football".

Il a aussi affirmé avoir eu des précisions sur "les commanditaires des opérations d'influence". M. Ennasri lui aurait dit que ces donneurs d'ordres étaient "des Algériens et des Franco-Algériens", mais avec une "tête de réseau qatarie".

"Je n'ai jamais été mensualisé", s'est de son côté défendu Hubert Julien-Laferrière auprès du magistrat, à la mi-septembre.

Il a rencontré le lobbyiste et le politologue, en présence d'une connaissance de Lyon, en août 2020. MM. Duthion et Ennasri ont "joué un rôle sur mon activité politique" car "ils m'ont sensibilisé sur des sujets", a expliqué l'ancien député.

Mais il n'a jamais perçu d'argent de leur part, a-t-il affirmé, que ce soit pour des interventions, ou pour l'aider financièrement lors de sa campagne de réélection.

Pourtant, dans une conversation de juin 2022, lui et M. Duthion "paraissent s'accorder" en se plaignant de leur rémunération par M. Ennasri, lui a fait remarquer le juge.

"J'ai dit oui à tout" ce que disait le lobbyiste car j'étais "paniqué", découvrant les "relations financières" entre M. Ennasri et M. Duthion, s'est défendu l'ex-parlementaire, qui a quitté le groupe écologiste à l'Assemblée en février.

Contactés par l'AFP, Robin Binsard et Marie Dosé, qui défendent respectivement le lobbyiste et l'ancien parlementaire, n'ont pas souhaité s'exprimer.

Par Clara WRIGHT / Paris (AFP) / © 2024 AFP

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