Épidémies animales, récolte de blé catastrophique et désormais inquiétudes sur les semis de céréales: les agriculteurs français pourraient bien ressortir leurs tracteurs pour un nouvel hiver de colère sans "signes concrets" dans les prochaines semaines.
C'est comme un bruit de fond, une marée qui monte inexorablement: les petits coups d'éclat se multiplient en France depuis la fin septembre, d'Occitanie jusque dans le Nord, largement relayés sur les réseaux sociaux, alors même que le gouvernement a répondu à plusieurs revendications majeures des agriculteurs.
En écho aux prémices du mouvement de l'an dernier - qui avait débuté par le retournement de panneaux de signalisation à l'entrée des villes et conduit au blocage de plusieurs autoroutes - des panneaux ont été à nouveau démontés en Occitanie ou en Eure-et-Loir. "Un premier avertissement", selon le syndicat Jeunes agriculteurs (JA), allié à la puissante FNSEA.
"Tic-tac": l'inscription a été peinte en jaune, couleur du deuxième syndicat agricole, la Coordination rurale, sur de grandes bâches noires devant le siège du Crédit Agricole de Bergerac, en Dordogne.
Dans l'Oise, Luc Smessaert, un des vice-présidents de la FNSEA, prévient: "Les tracteurs sont chauds, dès qu'on aura fini les semis, on sera de nouveau dans la rue."
Pourtant, après des centaines millions d'euros d'aides d'urgence accordées sous la pression des manifestations, le nouveau gouvernement multiplie aussi les marques d'attention.
Alors que les entreprises sont appelées à contribuer au redressement des finances publiques, le budget récemment présenté introduit des allègements pour les agriculteurs: abandon de hausse de la fiscalité sur le gazole agricole, réduction de l'assiette imposable des éleveurs bovins, mesures d'incitation à la transmission des exploitations...
Début octobre, le Premier ministre Michel Barnier a annoncé une enveloppe de 75 millions d'euros pour les éleveurs victimes de la fièvre catarrhale ovine de sérotype 3, une nouvelle épizootie, et promis de prochains "prêts garantis par l'Etat" pour les agriculteurs à court de trésorerie.
Mercredi, le ministère de l'Agriculture a souligné que les exploitants allaient commencer à voir arriver sur leurs comptes des fonds européens de la politique agricole commune (PAC) pour 2024: "plus de 4,32 milliards d'euros" répartis entre plus de 253.000 agriculteurs.
Face aux "difficultés de trésorerie de nombreux agriculteurs", la ministre Annie Genevard a porté le taux d'avance de versement "au maximum autorisé par la réglementation européenne".
- "Intenable" -
Alors pourquoi cette colère ? Parce que depuis janvier dernier, les agriculteurs attendent des "actions concrètes dans les cours de ferme" et notamment des "mesures de simplification" dont certaines ne coûtent rien, a expliqué mercredi le président de la FNSEA sur TF1.
"J'attends par exemple que le contrôle unique (...) se mette en place" alors que les agriculteurs "peuvent être soumis à près de 35 à 40 contrôles différents dans la même année", a déclaré Arnaud Rousseau, qui veut aussi plus de souplesse, citant le calendrier d'épandage et les normes sur la hauteur des tas de fumier.
Le ras-le-bol de l'an dernier sur le mille-feuilles administratif est intact. Et le retard pris par la loi d'orientation agricole, pour cause de dissolution de l'Assemblée, et dont l'examen ne reprendra pas avant janvier 2025, a ajouté à l'amertume.
Sans compter d'autres casus belli. Les agriculteurs attendaient qu'une réforme améliorant leurs retraites, définitivement votée début 2023, entre en vigueur en 2026. Mais cela devrait finalement attendre 2028.
Sur le plan international, ils redoutent que les négociations entre l'Union Européenne (UE) et le Mercosur sur un accord de libre-échange approchent d'une conclusion.
L'opposition à cet accord est un "combat existentiel" pour l'agriculture française, qui s'estime menacée par une concurrence à armes inégales, a déclaré mercredi Arnaud Rousseau devant des journalistes.
La situation sur le terrain est potentiellement plus explosive qu'il y a un an. Après une campagne marquée par des pluies quasi incessantes, la France a connu sa pire récolte de blé en 40 ans, des pertes considérables dans les vignobles, un regain d'épidémies animales, et les semis de blé d'hiver pourraient être menacés si les sols restent gorgés d'eau. "C'est intenable", "vous ne pouvez pas avoir le moral", résume Arnaud Rousseau.
Tous les syndicats lancent des "avertissements", se disent prêts à revenir dans la rue, tout en se défendant de pousser à la surenchère alors que se profilent leurs élections professionnelles, des scrutins qui détermineront fin janvier leurs poids respectifs au sein des chambres d'agriculture, aujourd'hui largement dominées par la FNSEA.
Par Sofia BOUDERBALA avec les bureaux de l'AFP en région / Paris (AFP) / © 2024 AFP