Paris s'apprête à transmettre aux autorités algériennes une première liste d'Algériens à expulser de France, avec le souhait qu'Alger s'en saisisse pour amorcer un réchauffement des relations diplomatiques aujourd'hui empoisonnées par la question migratoire et le dossier du Sahara occidental.
Trois sources gouvernementales ont indiqué jeudi à l'AFP que cette liste, comprenant "plusieurs dizaines" de noms, devait être officiellement adressée à l'Algérie très prochainement, une source évoquant "cette semaine", une autre "aujourd'hui ou demain", la troisième notant le caractère "imminent".
"C'est une première liste", avait indiqué mercredi sur la radio RTL le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, faisant lui-même état de quelques dizaines de personnes.
Le refus de l'Algérie d'accepter des ressortissants en situation irrégulière renvoyés par Paris, dont l'auteur d'un attentat qui a fait un mort le 22 février à Mulhouse (est de la France), a fini d'envenimer des relations déjà très dégradées depuis la reconnaissance par la France de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental fin juillet 2024.
En accédant à une demande du Maroc, pour qui le Sahara est une cause existentielle, Emmanuel Macron a déclenché de sérieuses turbulences avec Alger. Et les rapports se sont encore tendus avec la détention de l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal, que Paris juge arbitraire.
La liste des Algériens expulsables, en l'état, semble loin des aspirations de Bruno Retailleau, qui avait initialement évoqué plusieurs centaines de personnes. Mais d'autres listes pourraient suivre.
M. Retailleau a rencontré mercredi Emmanuel Macron, "en tête à tête", a indiqué à l'AFP un proche du président français. "Sur l'Algérie, on en fait beaucoup sur leurs divergences", a-t-il souligné, alors qu'ils "sont d'accord sur le principe: expulser des Algériens" sous le coup d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF).
Pour autant, le chef de l'Etat souhaite ne pas crisper davantage le pouvoir algérien sur la question migratoire, pour éviter un effet boomerang sur d'autres sujets sensibles comme le maintien des échanges en matière de renseignement anti-terroriste.
- Intérêt sécuritaire -
En toile de fond du réchauffement des relations diplomatiques, se joue en effet la nécessaire coopération pour lutter efficacement contre le jihadisme au Sahel.
La France a intérêt à la stabilité de l'Algérie, le plus grand pays d'Afrique, entouré de voisins dont la situation sécuritaire est chaotique.
En outre, Paris a en tête le possible retour, de Syrie, de jihadistes algériens ou franco-algériens, une menace potentielle pour la France.
Des diplomates français jugeaient récemment que les deux pays étaient dans une situation "de quasi-rupture".
Emmanuel Macron s'est, lui, efforcé de calmer le jeu en appelant à cesser de "se parler par voie de presse". "C'est ridicule, ça ne marche jamais comme cela", avait-il lancé fin février.
Une réponse au président algérien Abdelmadjid Tebboune, qui avait dénoncé le "climat délétère" entre les deux pays dans un entretien au journal L'Opinion, évoquant alors la nécessité de reprendre le dialogue, à la condition qu'Emmanuel Macron en exprime le souhait.
La presse algérienne avait salué "les propos apaisants" du chef de l'Etat français tout en regrettant la surenchère de Bruno Retailleau.
Interrogé sur une potentielle reprise de dialogue direct entre les deux présidents, l'Elysée n'a pas répondu.
Cette semaine, c'est le ministre français des Affaires étrangères qui a signalé la volonté de Paris de reprendre langue avec Alger.
"Bien sûr que la France aspire à avoir de bonnes relations avec l'Algérie, qui est un pays voisin avec lequel nos relations sont denses", a assuré Jean-Noël Barrot. "Pour cela, il faut que ces relations s'apaisent. Mais l'apaisement, ça ne se décrète pas unilatéralement", a-t-il néanmoins souligné.
Il a également appelé les autorités algériennes à se saisir de la liste des ressortissants algériens à expulser afin qu'elle "initient ainsi une nouvelle phase de nos relations qui nous permette de traiter nos différends et d'amorcer d'éventuelles coopérations stratégiques".
Pour l'heure, la crispation semble intacte. Les élus de Marseille, Montpellier et Nice ont annoncé que l'Algérie avait rompu ses relations consulaires avec ces villes du sud.
"Nous n'avons reçu aucune notification officielle faisant étant de la suspension, par des consulats algériens, de leurs activités consulaires", a assuré une source diplomatique à l'AFP.
"La remise d'une liste de noms à expulser offre un répit mais ne désactive pas les causes de la crise", souligne Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen à Genève. "Seule une reprise de l'action diplomatique et d'un dialogue peuvent permettre une sortie honorable".
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Par Delphine TOUITOU / Paris (AFP) / © 2025 AFP