La garde à vue se poursuit jeudi à Pau pour deux anciens surveillants de Notre-Dame-de-Bétharram, interpellés dans l'enquête sur les violences physiques et sexuelles dénoncées par plus d'une centaine d'anciens élèves, sur un demi-siècle, de cet établissement catholique des (Pyrénées-Atlantiques).
Le parquet a "mis un terme" à celle du troisième, un ex-prêtre nonagénaire, sans en dire davantage sur la procédure judiciaire à ce stade.
Les gendarmes enquêtent depuis un an sur cette institution longtemps réservée aux garçons. Les victimes, enfants ou adolescents à l'époque des faits, décrivent des masturbations et fellations imposées ou subies plusieurs fois par semaine, des châtiments corporels, menaces et humiliations.
Des "faits graves", "en contradiction totale avec l'esprit de l'enseignement catholique", a dénoncé la Conférence des évêques de France (CEF) dans un communiqué publié jeudi.
Les trois hommes, nés en 1931, 1955 et 1965, ont été interpellés mercredi pour des "viols aggravés, agressions sexuelles aggravées et/ou violences aggravées", sur une période comprise "entre 1957 et 2004" selon le parquet.
D'après une source proche du dossier, il s'agit d'un prêtre et de deux laïcs, dont l'un avait été démis de ses fonctions en février 2024, peu après l'ouverture de l'enquête, alors qu'il était visé par au moins huit plaintes. L'autre est un ancien surveillant général.
"C'est une immense victoire", a salué Alain Esquerre, porte-parole des plaignants, à l'annonce des gardes à vue.
- "Personne ne disait rien" -
"J'ai subi des punitions, des violences, on nous caressait à la sortie des douches, personne ne disait rien, on avait neuf ans !", enrage Brice Ducos, 49 ans, interne à Bétharram entre 1984 et 1991, ciblant l'un des suspects, surnommé "Cheval" à l'époque.
Allusion à la chevalière qu'il portait à une main et qu'il retournait avant de gifler un élève, en lui disant: "Regarde ce que tu m'obliges à faire", témoigne auprès de l'AFP un autre ancien, scolarisé de 1973 à 1980, qui a requis l'anonymat.
Antoine (prénom modifié), 48 ans, incrimine, lui, le surveillant écarté l'an dernier. "J'ai été son protégé", dit-il, évoquant des agressions sexuelles sous la tente lors de sorties scouts, puis des masturbations hebdomadaires, quatre ans durant, quand il habitait chez lui.
"Pourquoi je n'ai rien dit? Il avait une sacrée emprise sur moi, j'étais un bébé et il avait le rôle du père que je n'avais pas eu. Il voulait m'avoir que pour lui", confie celui dont une première plainte, en 1999, fut classée sans suite. "J'étais dégoûté qu'on me croie pas."
Celle déposée en 2010 par Jean-Marie Delbos, 78 ans aujourd'hui, fut aussi vaine mais il a été indemnisé en 2022 par la Commission Reconnaissance et Réparation après une enquête canonique.
Lui met en cause le nonagénaire, "jeune ecclésiastique" quand il le vit arriver au dortoir en 1957. Il "venait la nuit, soutane ouverte, s'accroupir au pied du lit pour faire des attouchements et des fellations", alors qu'il était "terrorisé et incapable de la moindre réaction", raconte-t-il.
- Prescription en question -
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Des membres de l'association Mouv'Enfants manifestent contre des abus présumés devant le collège et lycée catholique à Lestelle-Bétharram, dans les Pyrénées-Atlantique
PHILIPPE LOPEZ - AFP/Archives
Parmi les 132 plaintes recensées par le collectif des victimes, une poignée ne sont pas frappées par la prescription, estime son porte-parole Alain Esquerre, lui-même ancien pensionnaire.
Pour Me Jean-François Blanco, avocat en 1996 d'un élève victime d'une violente claque, la période évoquée par le procureur, longue de presque un demi-siècle, situe cependant "les crimes dans leur sérialité", "un critère fondamental pour l'appréciation sur la prescription".
La loi de 2021 sur la protection des mineurs contre les crimes et délits sexuels permet de prolonger le délai de prescription d'un premier viol si la même personne récidive sur un autre mineur.
Ces interpellations sont intervenues quatre jours après une réunion entre des victimes et François Bayrou, mis en cause depuis début février par plusieurs témoignages affirmant qu'il était au courant de premières accusations entourant l'établissement dans les années 1990, ce qu'il dément.
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Le Premier ministre Francois Bayrou (g) lors d'une conférence de presse avec le porte-parole du collectif des victimes de Bétharram, Alain Esquerre, le 15 février 2025 à Pau
Philippe Lopez - AFP/Archives
Le chef du gouvernement, ministre de l'Éducation de 1993 à 1997, répète n'avoir "jamais été informé" dans le passé des violences sexuelles dans cet établissement qu'ont fréquenté plusieurs de ses enfants et où son épouse a enseigné le catéchisme.
Alors que le scandale a poussé le gouvernement à annoncer un renforcement des contrôles sur les établissements privés sous contrat, le secrétaire général de l'enseignement catholique, Philippe Delorme, a appelé jeudi à ne pas faire de Bétharram "une affaire d'opposition" entre "public et privé", soulignant que "toute la société" doit protéger les enfants.
Le principe d'une commission d'enquête parlementaire "sur les modalités du contrôle de l'État et de la prévention des violences" en milieu scolaire a été validé mercredi, tandis que la Commission indépendante sur les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) a demandé un audit global sur les dispositifs d'alerte en vigueur dans tous les établissements qui en accueillent.
La Conférence des évêques a également appelé à "un grand plan de protection des enfants, s'appliquant à tous les lieux d'éducation".
Par Carole SUHAS / Pau (AFP) / © 2025 AFP