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Bernard Lapasset : "Il faut rouvrir le dossier des contrats fédéraux"

Par Justin Boche

Le président du World Rugby était l'invité exceptionnel du Journal de la Coupe du monde dans Sud Radio Sport pour une interview-fleuve. Au micro de Judith Soula, il est revenu sur l'énorme désillusion des Bleus contre la Nouvelle-Zélande, sur la Coupe du monde, l'arbitrage, mais aussi sur le futur du XV de France.

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La Coupe du monde a tenu toutes ses promesses. Elle a été historique pour plusieurs raisons. Est-ce qu'elle est à la hauteur de vos espérances ? Bernard Lapasset : On attendait quelque chose de grand et nous ne sommes pas déçus. Cette Coupe du monde bat tous les records, parce qu'elle est extrêmement référencée dans tout ce qui fait la richesse d'un événement. C’est-à-dire le jeu. Les équipes ont fait du très bon travail, il y a de la qualité et des surprises. On n'attendait pas des nations de deuxième niveau professionnel être aussi grandes dans l'exploit, dans la performance. On a vu les Japonnais, les Géorgiens. Ce sont des exploits extraordinaires dans le monde du rugby international. Et puis on a un suivi fabuleux de la part des spectateurs. On va battre le record de présence au stade en battant les 2,4 millions du record en France en 2007. Les fanzones ont accueilli 1,5 million de spectateurs sans billets qui sont venus pour voir les matchs sur grand écran. On a une population extraordinairement diverse qui vient de tous les pays. On a vu arriver des Chinois, des Indiens et d'autres, ce qui est fabuleux.L'élimination prématurée du pays hôte dans cette Coupe du monde n'a pas changé la donne ? Non. On pensait que nous allions perdre un peu d'audience dans les fanzones mais pas du tout. Tout le monde a continué à venir parce que le match c’est une atmosphère. Il y a ce qui se passe avant et ce qui se passe après. Et tout ça a été très bien construit. Les spectateurs ont pu s'amuser avec des animations, des jeux des chanteurs. On voit aujourd'hui de façon extraordinaire, des stades de football qui veulent des matchs de rugby. Saint-James Park, le stade de Newcastle qui est un temple du football est devenu en peu de temps une référence pour le rugby. La compétition a donc marqué le territoire, mais a aussi marqué la référence de la valeur du rugby. Vous aviez mis l'accent sur l'arbitrage dans cette coupe du monde avec une convention qui a été signée. On peut dire que globalement, l'arbitrage a été au niveau, mis à part le couac de Craig Joubert durant le match Australie-Ecosse. Mais pour la première fois, World Rugby a dénoncé cet arbitrage. Pourquoi ?Dans notre sport on a besoin de transparence. Ce qui réjouit beaucoup les médias et le public. On est dans cette recherche-là. Il est normal de dire aujourd'hui que l'on a confiance en nos arbitres. 99% des matchs ont été excessivement bien arbitrés. Si le jeu a pu se développer, c'est que nos arbitres ont pu laisser le développer dans des conditions parfaitement sécurisées. Ou la priorité a été mise sur des fautes majeures. Je crois qu'il faut vraiment travailler sur ces concepts-là. Joël Jutge et John Jeffrey sont tous les deux des artisans de ce dispositif. Ils ont fait un très gros travail d'approche et de formation auprès des arbitres et des coachs. Et le travail a payé. Il y a eu un grave accident avec Craig Joubert parce qu'il a signifié l’élimination d'un pays majeur et je crois qu'il faut dire la chose. L'arbitre s'est trompé comme un joueur peut se tromper, comme un dirigeant peut prendre une mauvaise décision. Ça va peut-être faire des difficultés pour notre ami Joubert dans la continuité de sa carrière. Il aura une position dans le rancking des arbitres qui sera forcément un peu défavorable suite à cette contre-performance. Mais c’est un arbitre qui reste pour nous parmi les meilleurs et qui doit continuer sa carrière le plus longtemps possible.On va revenir sur la désillusion française qui a été historique. C’est la première fois que la France encaisse 60 points lors d'une phase finale. J'imagine que samedi dernier il devait y avoir un sentiment de honte, même si vous être président du World Rugby ? Il y avait un sentiment de déception très lourd oui. En tant que président, j'ai connu les défaites et ce genre de score. Il faut reconnaître que ce n’est pas le moment pour perdre comme ça. Perdre comme on a perdu est très décevant, mais ça fait partie de notre façon de joueur contre la Nouvelle-Zélande. On a parfois réussi et d'autres fois ça s'est beaucoup moins bien passé. Aujourd'hui, on est déçu, mais il faut rapidement tourner la page pour préparer 2019 parce que la concurrence est de plus en plus large et de plus en plus ouverte. On sent de nouvelles nations qui arrivent, y compris les Fidji et les Tonga. Tout le monde prépare cette prochaine coupe du monde avec beaucoup d’intérêts. Il va falloir que l’on revoie rapidement la façon dont on peut procéder. Mais est-ce que l'on a pris du retard ? Si oui, comment peut-on l'expliquer ? Je ne sais pas si on a pris du retard. Mais il faut absolument aujourd'hui que les autorités se mettent en situation. Que ce soit la ligue, les clubs, mais aussi le ministère des Sports. On doit ouvrir des dispositifs législatifs d'accompagnement des fédérations dans leur effort. C’est quelque chose qui doit concerner une partie de nos responsables politiques. En 2001, vous aviez déjà évoqué les contrats fédéraux lors de votre mandat à la présidence de la FFR. Pourquoi ce dispositif n'a pas vu le jour ? Parce que malheureusement nous n'avons pas été suivis sur ce dispositif. Il fallait modifier un certain nombre de règles qui sont aujourd'hui des freins à la régulation du monde professionnel. Il y a peut-être des choses à trouver et à mettre en place. Mais il faut absolument rouvrir ce dossier. Pour la première fois, aucune nation de l'hémisphère nord ne sera présente dans le dernier carré. C'est un regret ? C'est d'abord un constat. Et il faut le faire. Là aussi nous sommes transparents. Nous sommes déçus parce qu'il n'y a pas de représentant de cet hémisphère. Le paradoxe c'est que l'on a peut-être la plus grande richesse du rugby international en France et en Angleterre et des ressources financières considérables. Mais on n'a malheureusement pas les équipes adaptées pour aborder la compétition dans son ensemble et surtout les matchs décisifs. Il faut vraiment que l'on fasse ce constat pour rééquilibrer les choses. La saison globale est peut-être une mission que l'on doit se donner au niveau de World Rugby. On a déjà travaillé sur ces données-là il y a peu de temps. Pierre Camou y participe. Il fait partie d'un groupe de travail très important sur la recherche à propos des compétitions dans le rugby à XV. On est dans une démarche très ouverte pour rééquilibrer entre les deux hémisphères. C'est toujours un problème de calendrier ? Nous verrons. Rien n'est fixé. On a ouvert le dossier des calendriers. On a ouvert le dossier du dispositif financier d'accompagnement. On a ouvert aussi le dossier de l'ouverture de la transparence concernant toutes les compétitions sans exception. Donc on verra comment mettre de l'ordre dans tout ça. Pour le moment, ce sont des recherches et nous aurons l’occasion d'en reparler prochainement. Les stades seront-ils plein pour les demi-finales Nouvelle-Zélande - Afrique du Sud et Australie - Argentine ?Oui et c’est vraiment fantastique. On trouvait les places un petit peu chères quand on a fait l'évaluation, même s'il y a eu une gamme de prix assez large. Mais aujourd'hui, on a le sentiment que la capacité financière en Grande-Bretagne est plus importante que le nôtre aujourd'hui. Il y a effectivement une présence très forte y compris pour les phases finales ou les prix étaient assez élevés. Deux demi-finales inédites et une finale qui sera aussi forcément inédite. Qui sont pour vous les favoris et les outsiders ? Je suis depuis longtemps fou amoureux de l'Argentine. J'aime beaucoup ce jeu argentin qui est séduisant et extraordinairement généreux. Mais en même temps plein de finesse. Il est plein de choses extrêmement fortes. C’est ce que l'on attend dans le monde du rugby. De la surprise, de l'attente. De la qualité. C’est quelque chose de très fort et très complet. Ils n'ont pas la force physique et la puissance de la Nouvelle-Zélande, mais quel bonheur de voir une équipe comme l'Argentine arriver en demi-finale. Ce serait un peu une récompense pour la France, parce que notre pays a beaucoup bossé pour l'Argentine. Rappelez-vous la coupe latine pour ceux qui écoutais Sud Radio à l’époque. On avait créé une compétition avec la Roumanie, l'Argentine, la France et l'Italie. C'était les premiers pas pour introduire l'Argentine dans le calendrier international. Aujourd'hui, je suis fier de ce travail. Souhaitons qu'on les retrouve encore un peu plus haut. C'est ce pays qui a le plus progressé depuis ces dernières années ? Je crois que c'est le pays qui a su trouver l’équilibre. L'Argentine a connu une situation économique assez difficile. Mais par contre, le dispositif sportif s’est bien adapté avec l'appui de World Rugby. On a beaucoup apporté dans la référence financière pour amener ce pays à rentrer dans le monde professionnel. Ils l'ont fait avec beaucoup d’intelligence et d’à-propos. Ça a été dur parce que les clubs de Buenos Aires étaient d'accord, mais ceux des provinces y étaient totalement opposés. Mai tout le monde a fini par trouver une solution. Ce qui démontre que tout le monde peut parvenir à un accord quand la nation est en jeu. Que le maillot est en jeu. Que le drapeau est en jeu. Que l'image du sport qui représente tout un pays est en jeu. L'exemple de l'Argentine est là pour nous dire attention. Arrêtons de parler de chapelle et de division. Sachons donner à la France une façon de vivre, d'apporter au rugby sa référence au niveau international. C’est le message qu'il faut donner. On a tous les atouts pour réussir, mais il va falloir savoir dire oui sur un message qui va porter l'avenir. Que peut-on vous souhaiter à dix jours de la fin de cette 8e édition de la Coupe du monde ? J'espère avoir le plaisir de donner le trophée à un finaliste heureux. Je pense qu'ils le seront tous, mais peut-être avec plus d'affinité que je pourrais avoir avec une équipe.

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