Judith Soula : Tu es le premier à t’être positionné comme candidat à la présidence de la fédération française de rugby. Qu'est-ce qui t'a motivé dans ce nouveau défi ?Bernard Laporte : C'est le fait d'aller dans des clubs amateurs autour de Toulon. Cela fait quatre ans et demi que j'y vais pour entraîner des jeunes, j'adore ça. Au fil des entraînements et de tous les petits pots organisés après, tout le monde me disait que ça n'allait pas. Il y avait un réel mécontentement. J'en étais surpris, car j’étais un peu éloigné de ce monde amateur, je le dis avec beaucoup de franchise. Un jour, un dirigeant m'a dit "Bernard, il faut que vous vous engagiez, c'est votre génération qui doit passer devant, vous avez la légitimité, vous avez été secrétaire d’État, vous avez entraîné huit ans l'équipe de France, etc." Je me suis dit, pourquoi pas ? Lors d'un dîner avec Serge Simon, il m'a aussi dit que j'avais la légitimité et que si je n'y allais pas, personne n'irait. C'est bien beau de dire que ça ne va pas, mais si on ne s'engage pas, ce n'est pas la peine de critiquer. J'ai trouvé que Serge avait raison, le monde amateur a besoin de nous. Le rugby nous a beaucoup donné alors j'ai envie de lui redonner, tout simplement. L'idée a germé et j'ai décidé de m'engager il y a maintenant plus d'un an.Au début de ta campagne, certains présidents de région ont apparemment refusé de transmettre certaines informations aux clubs amateurs. Le fait que tu déranges, ça t'a encore plus motivé ?Ça me passionne. Au départ, les gens disaient qu'il fallait que je prenne la ligue. Mais ça ne m'intéresse pas. Je veux être président de la fédération du monde amateur, qui est un monde que j'aime. Alors oui, les gens se demandaient ce que je racontais et disaient que tout allait bien dans le rugby français. Et puis je m'aperçois que le second de la fédération, Alain Doucet, s'engage contre le président Pierre Camou. Ça montre bien qu'il y a quelque chose qui ne va pas. Croyez-moi, c'est la 23e réunion que nous faisons, on occupe vraiment le terrain. Je sens un réel mécontentement de tous les clubs amateurs qui sont laissés à l'abandon, à qui on ne répond jamais aux mails ou au téléphone, à qui on met contrainte sur contrainte, amendes sur amendes et qui n'ont jamais rien. Quand un dirigeant dit : "vous savez Bernard, il faut qu'on soit courageux pour être président de club, aujourd'hui c'est 90 % d'emmerdes et 10 % de bonheur", je leur dis qu'on va essayer de faire l'inverse.Aujourd'hui, vous êtes trois candidats déclarés, peut-être quatre avec une nouvelle liste…Il y a Pierre Camoux Alain Doucet, Pierre Salviac et moi-même. Vous vous rendez compte ce que j'ai apporté déjà à ma fédération ? C'est énorme. Alors qu'avant, le président désignait les suivants comme un roi. Tout le monde se passait la patate chaude comme ça, tranquillement. Tout le monde disait que ce poste était imprenable, je l'ai toujours entendu. Mais quand on fait du sport de haut niveau, il n'y a rien d'ingagnable. Depuis que je me suis engagé, les gens ont compris qu'on pouvait y aller, et même dans les comités. Je vous garantis qu'il y a des présidents de comité qui ont chaud aux fesses parce qu'ils se disent que si Bernard le fait au niveau de la fédération, on peut le faire aussi au niveau des comités. J'aurai au moins apporté cette démocratie.En étant honnête, ton principal adversaire reste le président sortant ?Je ne pense pas. Je prends tout le monde avec beaucoup de sérieux, et je sais de quoi je parle.C'est quand même les comités qui ont le poids pour cette élection ?Pas du tout. Tout ça est faux. Et c'est mon slogan, ce ne sont pas les présidents de comités qui votent. Qu'ils fassent régner la terreur chez eux, oui, mais c'est fini ça. Je m'aperçois que beaucoup de présidents de club sont contre leur président de comité. Le fait que je vienne leur donne beaucoup de force, même si on leur fait toujours comprendre qu'ils doivent se taire. Vous savez, Tony Marin a été désavoué en pleine réunion publique mardi dernier à Lourdes. Je lui ai dit qu'avant de parler, il faudrait qu'il gagne. Mais c'est bientôt fini, car il n’y a jamais eu personne contre eux. Maintenant, les gens se réveillent et se disent que finalement, c'est ça la démocratie.La liste d'Alain Doucet, le numéro 2 de la fédération affaibli l'actuel président ?Ça montre que ça ne va pas. Et bien sûr que ça l'affaiblit, quand ton second s'en va contre toi ça montre bien que tu n'as pas fait ce qu'il fallait.Ce poste de président de la fédération française de rugby, par rapport aux autres postes que tu as occupés, est beaucoup plus politique. Tu te sers de ton expérience acquise au gouvernement Sarkozy ?C'est une évidence que cela me sert. D'abord, j'ai connu toutes les fédérations. Je sais comment les fédérations qui étaient bien organisées fonctionnaient bien et comment celles qui ne l'étaient pas ne fonctionnaient pas bien. J'ai vu tout ça. J'ai une expertise et un réseau qui effectivement m'aide beaucoup.C'est quand même le jeu des réseaux, cette élection ?Ça compte. Mais par contre, le programme est primordial. Nous sommes en train de le faire avec les présidents de club que nous rencontrons.Une fois par semaine, tu es dans un nouveau club ?Oui parce que mes contraintes d'entraîneur et de manager de Toulon font que je ne peux le faire qu'une fois par semaine. Mais à partir de fin juin, je serai libre, donc à partir de juillet ce sera tous les jours.24 clubs déjà rencontrés, quelle est la question qui revient le plus souvent ?C'est presque toujours la même chose. C'est "personne ne nous aident, on est laissé à l'abandon, nous sommes des présidents et on nous met des contraintes administratives ou sportives auxquelles nous n'avons parfois pas l'expérience et l'expertise pour y répondre. On nous impose tout et on ne nous donne jamais la parole". Normalement, c'est le contraire. Les statuts sont clairs : les décideurs sont les présidents des 1885 clubs, ce sont eux qui doivent décider. Les présidents de comités n'ont rien à décider. Je vais vous raconter une anecdote, j'étais dans le TGV, un monsieur vient me voir et me dit qu'il espère que je sois le futur président de la fédération. Il me dit aussi qu'il espère que son président de comité votera pour moi. Je lui demande ce qu'il fait dans la vie. Il était président d'un petit club à côté d'Auxerre. Même lui ne savait pas que c'était lui qui devait voter. Imaginez un peu la désinformation que l'on fait à ces clubs.Ils ont vraiment l'impression d'être sous la coupe de leurs présidents de comité ?Complètement, c'est presque comme à l'époque des rois et de la dictature.Si t'étais président, ce serait quoi ta première mesure ?La première mesure que je ferai à huit heures, c’est changer les statuts. Je dirai qu'un président de fédération ne peut pas faire plus de deux mandats consécutifs.Pierre Camou s'était engagé à le faire au départ...Vous avez vu ? Il a bien tenu parole…Dans vos discours, on voit souvent la mesure : remettre le XV de France au centre du village…Bien sûr ! J'ai eu Guy Novès encore au téléphone tout à l'heure, ça ne peut plus durer. Quand on voit l'équipe de France jouer depuis huit ans, ce n'est plus possible. Nous sommes devenus la 12e nation mondiale. Et tous les élus sont toujours là, en place. On vire les entraîneurs, mais pas les élus.Tu serais pour les contrats fédéraux ?Par rapport à ça, nous ferons des propositions dans notre programme. Ce que je veux dire haut et fort, c'est que je n'ai pas peur du monde professionnel. Pour moi, ce sont des amis et pas des ennemis, ils font partie de la famille du rugby. La force et la chance que nous avons, c'est d'avoir un secteur professionnel riche. Toutes les fédérations n'ont pas ça. Et nous sommes en guerre avec eux, en permanence. Vous comprenez bien que les dirigeants actuels qui viennent du monde amateur, qui sont dépassés par ces grands chefs d'entreprise, en ont peur. C'est évident. Dès qu'ils leur tapent dessus, personne ne répond. Moi je veux travailler avec eux, m'assoir autour d'une table ovale et dire que la seule chose qui m'intéresse c'est de savoir comment on fait pour que l'équipe de France redevienne performante, avec vous et non contre vous.Les clubs continueront de payer les internationaux, en revanche, c'est s'attaquer au calendrier ?Exactement, mais je veux en parler avec eux. Je ne vais pas leur dire : c'est comme ça et taisez-vous. C'est ce que je reproche aujourd’hui.Plutôt un Top 12 pour libérer des dates ?On verra avec eux, et pourquoi pas un Top 18 ? Je vais proposer plusieurs lignes conductrices et on va débattre ensemble pour trouver la bonne solution.Tu évoques aussi beaucoup la nécessité de faire des économies, c'est au centre de ton programme. Ça veut dire quoi ?Ça veut dire qu'il y en a marre des gens se gavent, excusez-moi l'expression. Ce n'est pas parce que les petits arrangements entre amis ont toujours fonctionné qu'il faut que ça continue. Ce n'est pas ça la vie, ça évolue. Tous ces gens qui voyagent sans arrêt… Vous savez, la Cour des comptes a dit qu'il y avait trop de déplacements au sein de la fédération française de rugby. Je crois qu'aujourd’hui, avec les nouvelles technologies, on a plus besoin de tous monter à Marcoussis. On peut faire de la visioconférence et beaucoup d'économie. Je sais pourquoi beaucoup de dirigeants vont à Marcoussis, j'y ait été pendant huit ans. Je vous le dirai un jour, ça mettra peut-être le bordel, mais c'est comme ça. On va supprimer tout ça, ils resteront sur leurs territoires et ça leur fera du bien.Tu évoquais tout à l'heure les clubs amateurs. Pour la formation et les écoles de rugby, on ne joue pas assez aujourd'hui ?Exactement. Une de nos priorités, ce sont les jeunes. Quand je vois ce qu'investit la fédération française de rugby... Sur l’année dernière, 3000 euros, ça fait 187 euros par école de rugby. C'est un scandale. L'autre fois, j'ai entraîné 45 moins de 12 ans. À la fin de l'heure et demie d'entraînement, l’éducateur en chef a annoncé à quinze joueurs qu'ils allaient en tournoi. J'ai demandé ce que faisaient les trente autres, il m'a répondu que le club n'avait pas les moyens et qu'ils ne pouvaient pas aller en tournoi. Alors qu'il y en avait plusieurs d'intéressants dans les environs. J'ai failli tomber à la reverse. On fait des banquets qui coûtent des sommes considérables où ce sont toujours les mêmes qui ne font rien pour le rugby, mais qui s'en servent. Six dirigeants sont partis à Sydney en première classe : 48 000 euros de déplacement. On va continuer comme ça ? On va laisser les gamins ne pas jouer au rugby ? C'est fini cette époque-là. On va consacrer de l'argent pour les écoles de rugby. Je ne supporterais plus, si j'étais président de la fédération, qu'un parent me dise que son gamin ne peut pas partir en tournoi parce que le club n'a pas les moyens.Même sans partir en tournoi, il n'y a pas de compétitions proposées les weekends, la plupart du temps elles sont toutes à partir du mois d'avril…C'est parce qu'il n'y a pas de moyens. Et ça on s'en rend compte tous les mardis quand on fait nos réunions. Encore une fois, mettre beaucoup d'argent sur les écoles de rugby, c'est la priorité.Où trouves-tu l’énergie pour tout gérer, ta campagne et le RCT ?Je pars du principe que l'énergie, c'est toujours les gens que j'ai en face de moi qui me la donne. Quand j'entraîne des joueurs, c'est eux qui me renvoient de l'énergie. Je ne suis pas tout seul, on ne fait pas les choses seul dans la vie.Six mois depuis le lancement de ta campagne. Aujourd'hui, tu dirais que tu es bien placé dans la course ?Ce n'est pas une course de chevaux, mais ce qui est sur, c'est que c'est très intéressant. C'est très enrichissant parce qu'on rencontre des gens. J'ai la sincérité de dire que ce monde amateur, je le découvre. J'ai eu l'occasion de faire toutes ces réunions et d'avoir des débats avec tous ces présidents de club qui sont à l'agonie. Je connais par coeur les problématiques et les contraintes de ce monde. J'ai vraiment envie de les aider, car je suis un privilégié du rugby. Le rugby m'a tout donné et m'a tout permis. Je n'ai pas été international, mais j'ai entraîné l'équipe de France, la sélection mondiale, et j'ai été nommé en 2002 meilleur entraîneur du monde. J'ai un réel désir et une réelle envie de redonner à ces gamins et de leur faire comprendre que rien n'est impossible. J'ai été le petit enfant de Gaillac, qui n'a jamais été international et qui était tout maigrichon. Mais pour que rien ne soit impossible, il faut pouvoir jouer et c'est le premier privilège que j'ai eu. J'ai eu le club de Gaillac, des éducateurs, des bénévoles autour. Si je n'avais pas eu ces gens-là, cette structure, jamais je n'aurai connu ce que j'ai connu. Quand je vois ces gamins qui ne peuvent pas faire de tournoi, je me dis qu'ils n'ont pas la chance que j'ai eue, alors je veux leur redonner cette possibilité.Même si tu ne gagnes pas, tu te dis que tu auras réussi à bousculer les choses ?Le fait que le second s'engage contre le premier et qu'il y ait quatre listes… Au moins j'aurai apporté de la démocratie dans mon sport et je m'en réjouis.Retrouvez toute l'émission en podcast ici.
Bernard Laporte : "Si j'étais président"
Par Mathilde Régis
En pleine campagne pour la présidence de la fédération française de rugby, Bernard Laporte accorde un entretien exclusif à Judith Soula dans l'émission Sud Radio Sports.