Après bientôt cinq mois, maints reports d'audiences et recours procéduraux, la justice argentine a commencé lundi l'examen de la demande de non-lieu pour Hugo Auradou et Oscar Jegou, les deux rugbymen français inculpés de viol aggravé en juillet, en marge d'une tournée du XV de France en Amérique du Sud.
Les avocats des joueurs, et celle de la plaignante, une Argentine de 39 ans mère de deux enfants, sont arrivés vers 09h00 (12h00 GMT) au pôle judiciaire de Mendoza (ouest), sans faire de déclaration aux journalistes, a constaté l'AFP.
Lors de l'audience à huis clos vouée à durer plusieurs heures, l'avocate de la plaignante et ceux des joueurs doivent débattre du non-lieu demandé fin août par les représentants des deux jeunes internationaux français. Le parquet lui aussi plaidera l'abandon des poursuites, comme il l'a annoncé à l'issue de l'instruction, début octobre.
La juge Eleonora Arenas présidant l'audience pourrait rendre sa décision dans la foulée, ou plus vraisemblablement la mettre en délibéré à dans quelques jours, ont estimé des avocats.
- La défense optimiste -
Auradou et Jegou sont inculpés pour des faits présumés survenus dans la nuit du 6 au 7 juillet dans une chambre d'hôtel de Mendoza, où le XV de France venait de jouer un test-match contre l'Argentine, suivi d'une "troisième mi-temps".
Tous deux affirment depuis le début que les relations sexuelles avec la plaignante, rencontrée en boîte de nuit, étaient consenties et sans violence. L'avocate de la plaignante a dénoncé en revanche un viol avec "violence terrible".
Si le consentement, ou non, est au cœur des affaires de viol, le fossé dans ce dossier-ci est apparu spectaculaire entre les versions radicalement opposées des protagonistes. Seule convergence: il y a bien eu actes sexuels dans la chambre d'hôtel entre les joueurs et la plaignante, et dans un contexte alcoolisé.
Au fil de l'enquête, d'analyse de témoignages, d'images de vidéo surveillance, à des messages audios (de la plaignante avec une amie, notamment), "l'accusation initiale a perdu de sa force", avait relevé le parquet fin août, en autorisant le retour en France des joueurs. Lesquels avaient passé en juillet un peu plus d'une semaine en détention préventive, puis près d'un mois assignés à résidence.
Leurs avocats affichent leur optimisme, Me German Hnatow estimant pour l'AFP à quelques jours de l'audience que "tous les éléments évalués en leur ensemble ne mènent qu'à une issue: la déclaration d'innocence". Il a dénoncé, derrière la plainte initiale, un "mensonge mal intentionné (...) avec visées financières" d'indemnisation.
Natacha Romano, l'avocate de la plaignante - un autre s'est dissocié du dossier -, maintient que sa cliente était non consentante et a été atrocement violentée. Et au long de la procédure, elle s'en est prise crescendo à une justice selon elle "partiale", voire aux ordres - un avocat des joueurs est frère du ministre de la Justice. La plaignante elle-même, "Maria", a dit à l'AFP son sentiment d'avoir été "abandonnée" par la justice argentine.
- L'"après-Mendoza" dans le rugby -
Me Romano, qui depuis plus d'un mois ne s'exprime plus dans les médias, a tenté de faire récuser les deux co-procureurs chargés de l'enquête, puis la juge encore vendredi dernier. Recours déboutés.
"Incessantes tentatives d'entraver, différer, chicaner", a pesté Me Hnatow, à mesure que le ton montait entre les avocats argentins. Avec du côté de la plaignante des menaces de plaintes à venir contre un avocat des joueurs, de l'autre l'évocation de moins en moins voilée de futures "demandes de réparation" de la part des joueurs.
Le rugby français, de son côté, continue de digérer l'onde de choc de "la nuit de Mendoza" - où un autre joueur, Melvyn Jaminet avait tenu sur ses réseaux sociaux des propos racistes, pour lesquels il a été suspendu.
Trois victoires des Bleus lors de la tournée d'automne ont redonné prééminence au terrain, mais "l'après-Mendoza" promis par les instances du rugby français est en marche: sur le cadre de vie, la consommation d'alcool, le déroulement des tournées, la prévention, les sanctions éventuelles.
Rentrés en France début septembre, les deux rugbymen inculpés ont repris le rugby en compétition: depuis octobre pour Auradou, novembre pour Jegou. Tous deux ont de nouveau joué ce week-end en Top 14.
Par Favio ROA, avec Philippe BERNES-LASSERRE à Buenos Aires / Mendoza (Argentine) (AFP) / © 2024 AFP