Sur les pontons, c'est le patron. Le directeur de Team New Zealand Grant Dalton a soulevé la Coupe de l'America pour la 3e fois d'affilée samedi à Barcelone, un exploit qui fait entrer encore un peu plus ce charismatique kiwi dans l'histoire de la voile.
A 67 ans, Dalton n'a rien perdu de son esprit de compétition légendaire, malgré plus de vingt ans passés aux commandes de l'écurie néo-zélandaise. "Si tu n'es pas avec nous, tu es contre et on doit travailler plus que toi", estime l'ancien skipper hauturier.
Souvent coiffé d'une casquette noire ou bleue barrée de l'inscription "Team New Zealand", ce sexagénaire au petit gabarit athlétique cache parfois son regard dur derrière des lunettes de soleil, mais c'est toujours lui qui monte au front en cas de crise.
"On devrait être de retour en course demain", assurait-il ainsi d'un ton calme face aux caméras après une chute de plusieurs mètres de l'AC75 rouge et noir sur son ber au tout début de la Coupe Louis-Vuitton, que les équipes adverses pensaient catastrophique pour la suite.
"Il ne panique jamais, n'hésite pas à prendre les décisions difficiles et maîtrise très bien l'art de la communication", admire un membre haut-placé de l'encadrement de l'un des cinq autres défis engagés sur cette 37e édition du plus vieux trophée sportif du monde.
- "Des hauts et des bas" -
Grant Dalton revient de loin. En 2003, le moral des Kiwis est au plus bas. La Coupe de l'America conquise en 1995 et brillamment défendue en 2000 est partie garnir la vitrine de la Société nautique de Genève, remportée par les Suisses d'Alinghi.
Appelée par le ministre des Sports de l'époque pour redresser le navire, cette star de la course au large devient en quelques mois un patron dur et rigoureux qui, de son propre aveu, a "viré tout le monde" dès son arrivée.
Il persuade plusieurs sponsors bien dotés de rejoindre l'aventure, dont la richissime compagnie aérienne Emirates tandis qu'une nouvelle équipe, quasiment exclusivement néo-zélandaise, se forme au QG historique des Kiwis à Auckland.
"Il y a eu des hauts et des bas dans mon histoire avec la Coupe, on est passé à plusieurs reprises proche de la faillite... mais on a réussi à mettre en place une culture, une équipe de bosseurs avec de la personnalité", se félicitait Dalton en août 2024.
Les résultats ne tardent pas. "TNZ" remporte la Louis-Vuitton en 2007 avant de s'incliner face aux Suisses. En 2013, les Kiwis parviennent même à mener 8 à 1 lors du match pour l'aiguière d'argent contre les Américains d'Oracle...
... avant de subir l'une des plus terribles "remontada" de l'histoire de sport, une défaite 9 à 8, générant chez Grant Dalton "des cicatrices qui ne guériront jamais".
- Meilleurs de l'histoire ? -
En 2015, il décide de remplacer sans ménagement le barreur Dean Barker par Peter Burling, tout jeune médaillé d'or olympique, suscitant un émoi national dans ce pays où la voile demeure un sport très populaire.
Avec les ingénieurs kiwis, Dalton acte la construction de foils résolument différents des autres équipes et décide d'intégrer des cyclistes à bord pour produire l'énergie. Ces trois paris vont s'avérer gagnant.
Les victoires en régates préliminaires s'enchaînent jusqu'au sacre tant attendu aux Bermudes en 2017. Sept ans et deux Coupes plus tard, l'équipe n'a presque pas changé et elle est désormais largement considérée comme l'une des plus grandes de l'Histoire.
"Gagner trois fois d'affilée avec la même équipe, cela solidifierait ce groupe comme le meilleur de tous les temps", estimait même Dalton à la veille de leur nouveau triomphe sur le plan d'eau barcelonais.
Les Kiwis sont aujourd'hui "une machine à gagner", résume Bruno Dubois, co-directeur d'Orient Express, le défi tricolore engagé sur cette 37e édition.
"Ils ont le bateau de référence, du budget, des hommes qui savent concevoir, développer et naviguer", dit le Français. Exactement comme Dalton l'avait imaginé.
Par François D'ASTIER / Barcelone (AFP) / © 2024 AFP