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Laura Flessel : "je suis une femme dans toute sa splendeur"

Par Mathilde Régis

Pour la journée internationale de la femme, Judith Soula met à l'honneur la plus titrée des escrimeuses françaises pour le grand entretien confidence de Sud Radio Sports : Laura Flessel.

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Judith Soula : Vous êtes une de nos plus belles et talentueuses sportives, quintuple médaillée olympique, six fois championne du monde et deux fois championne d'Europe. Quel est le combat qui vous tient le plus à cœur en tant que femme ? Laura Flessel : C'est l'acceptation et le positionnement de la femme dans la société qu'elle est sa place, tant au niveau de la gouvernance que dans les projets professionnels, associatifs et sportifs. Qu'elle trouve sa place et qu'elle aille le plus loin possible. J'aime à dire que la journée de la femme c'est 365 jours par an. Il y a un gros travail à faire, les lignes bougent, il y a une prise de conscience, mais il faut aussi faire des piqures de rappel.Vous êtes plutôt féministe ? Quand j'étais petite, je disais que j'étais un petit garçon manqué, j'ai vite déchanté : je suis une femme dans toute sa splendeur. Mais il y a des projets qui comptent, j'ai eu la chance d'avoir une éducation riche, j'ai pu voyager dans le monde entier et j'ai vu la richesse que l’on a de pouvoir être libre. Aujourd’hui ce n'est pas le cas pour tout le monde, la cause des femmes est donc pour moi très importante.Vous défendez surtout beaucoup la cause des mamans africaines, quelle est votre mission ? Je pars dans quelques jours avec une ONG pour le droit à la formation des femmes africaines pour qu'elles deviennent sages femmes et qu'elles puissent faire reculer le taux de mortalité infantile et maternelle à la naissance. C'est une cause qui me tient à cœur. Selon vous, quel a été le plus beau combat déjà gagné par les femmes ? Le plus beau combat est de pouvoir enfanter. Mon plus beau combat je l'ai gagné sur les pistes, mais ma plus belle médaille d'or, c'est ma fille. J'ai mis ma petite pierre à l'édifice.

"Il n'y a pas d'équité homme-femme dans le sport, mais on travaille pour"

Vous trouvez qu'il y a davantage d'équité entre les hommes et les femmes dans le sport ? On a créé les 24 heures du sport au féminin et on a vu l'évolution. Depuis ces quatre saisons, c'est en amélioration pour que les médias ne parlent pas seulement qu'une fois du sport au féminin, mais toute l'année. De 7% on est passé à plus de 17% d'audience médiatique sur le sport au féminin. Il n'y a pas d'équité, mais on travaille pour tirer les femmes et la conscience vers le haut.Dans l'escrime, vous étiez la star de l'escrime tricolore, vous étiez même plus reconnue que les hommes ? Je suis restée 20 ans en équipe de France, j'ai tout gagné. Ce que j'aimais dans cette quête d'excellence, c'est le travail en collectif. J'ai appris, j'ai amené, j'ai tiré vers le haut. Aujourd'hui je prends plaisir à regarder cette nouvelle équipe de France qui tend à aller vers Rio.Vous avez aussi créée votre club d'escrime à Clichy, pourquoi ? L'objectif était de transmettre. Pendant ma carrière professionnelle, j'ai créé des prototypes et des missions pour démocratiser l'escrime. Une première mission était d'amener mes partenaires vers des clubs naissants ou en situation géographique difficile. Le but était d'amener du matériel, qui est une denrée très rare et très chère pour les clubs. La deuxième opération était d'amener à 4 jeunes l'expertise, l'intelligence et la rigueur du sport de haut niveau. On les a suivis pendant quatre ans. J'ai passé le relai, car trois de ces filles sont maintenant en équipe de France. Fort de cela quand j'ai arrêté ma carrière, j'ai ouvert un club à Clichy. L'année dernière, on pensait ouvrir et avoir 50 licenciés. Aujourd'hui, on en a 160. Mais c'est le début : on n’a pas ouvert sur la compétition, mais dans l'objectif de développer de la masse et d'aller chercher la curiosité des gens. Aujourd'hui, on a ouvert sur l'escrime handi, loisir et associatif. On a les enfants du secours populaire, de l'association un maillot pour la vie et des lutins de Céline, des orphelins qui découvrent l'escrime qui est entre guillemets dit élitiste. On utilise l'escrime pour rassembler, on parle d'inclusion par le sport.L'escrime, vous aviez vraiment l'impression que c'est un sport élitiste ? Il en a la casquette. On le dit non médiatique et non esthétique, on a prouvé le contraire. L'image s'est améliorée, mais on pense au football, à la natation... et après coup à l'escrime. Mon objectif est d'en parler encore plus, même si je ne suis pas sur la piste.Vous avez plusieurs fois déclaré que le sport est un remède social incroyable, c'est pour ça que vous avez créé une association ?J'utilisais ma passion comme métier, mais l'escrime est un sport amateur. J'avais besoin d'un équilibre, donc je suis allée voir le monde associatif et humanitaire. Dans ma tête, j'avais cette envie de créer après ma carrière sportive. L'idée était de pouvoir utiliser des tests pour aller voir des partenaires en leur disant que mes projets étaient crédibles puisque je les avais testés pendant ma carrière. Je pense que si aujourd'hui les partenaires nous suivent, c'est parce qu'il y a eu cette crédibilité pendant ma carrière.

"Je voulais écouter la Marseillaise en tant que première championne olympique à l'épée dame"

Aujourd'hui, à titre personnel, vous pratiquez encore ? Ce soir je vais me remettre sur les pistes, car j'ai perdu agréablement un petit pari. Les filles sont parties faire les championnats de France de troisième division. Je leur avais dit avant la compétition que si elles gagnaient, une fois par mois je remettrais la tenue. Elles ont gagné, donc je tiens ma promesse. On peut dire aujourd'hui que vous êtes une femme de combat ? J'ai besoin de challenge, je ne sais pas si l'escrime m'a rencontré ou si j'ai rencontré l'escrime, mais cette union m'a fait grandir. Je suis en quête d'excellence. Je suis quelqu'un de passionné, mais pragmatique. Tant que c'est possible, je ne m'arrête pas. Vous avez été cinq fois championne olympique, dont deux fois en or, parlez-nous un peu de ce rêve olympique ? J'ai rêvé d'or quand j'étais en Guadeloupe, quand j'ai vu le triplé en or de Karl Lewis en rétrospective, j'ai bondi sur mon canapé. Ce Monsieur m'a insufflé cette envie d'aller conquérir ce Graal olympique. Je ne savais pas encore dans quelle discipline, mais j'étais déterminée. Je suis combative, lorsque je suis allé voir l'entraîneur, je lui ai dit que je voulais faire de la compétition, je n'avais que 5 ans et demi. Les JO sont la compétition la plus importante dans la carrière d'un athlète amateur. Les disciplines amateurs vivent grâce aux Jeux olympiques. Mon rêve était précis, je voulais écouter la Marseillaise en tant que première championne olympique à l'épée dame. J'ai travaillé avec toute une équipe, car ce n'est pas un résultat individuel. Pendant 20 ans, je suis restée dans cette recherche de l'excellence, il y avait toujours à apprendre. Toujours la même émotion sur les cinq olympiades, on se rappelle de vos larmes sur l'arrêt en 2012 à Londres... Il y a toujours une fin. J'ai commencé sur une olympiade, je voulais aussi terminer là dessus en étant top 16 mondiale, j'étais top 11. J'ai respecté mon règlement intérieur. C'est toujours dur de dire au revoir lorsqu'on est passionnée, qu'on a tout donné et qu'on a représenté une nation. Mais j'ai eu la chance de préparer l'après, sur le moment c'était des larmes d'émotion parce que je quittais une famille. Mais le sourire est revenu quelques heures plus tard, car une autre famille m'attendait. C'est toujours mieux de terminer sur des jeux.

"Le jour J à l'instant T, la France n'était pas la meilleure nation en escrime"

Comment vous expliquez qu'après votre retraite internationale, il y ait eu le désert derrière vous ? En 100 ans aux Jeux olympiques, l'escrime a toujours eu des médailles. Aux jeux de Londres, il y a eu une fin de cycle, on n’a pas répondu présent au niveau des médailles. Depuis 4 ans, cette nouvelle équipe de France et les anciens maîtres d'armes ont continué à travailler. Certains étaient peut-être trop jeunes, ont mal géré l'émotion ou d'autres étaient en retard sur la préparation. En fait, nous n'étions pas là. L'escrime s'est mondialisé et le jour J à l'instant T, la France n'était pas la meilleure nation au niveau de l'escrime. Depuis 4 ans, cette nouvelle génération s'est endurcie. Elle est allée chercher des résultats en coupe et en championnat du monde. Vous n'êtes pas inquiète ? Vous croyez en cette nouvelle génération ? J'aime cette nouvelle génération. J'espère qu'ils auront leur médaille cet été, car ils ont modifié leur manière de fonctionner, de penser et de s'entraîner. C'est très dur de garder 4 ans de stress, de peur de la pression ou de la blessure. Aujourd'hui, ils sont bons. Le but c'est d'être aux Jeux pour pouvoir aller chercher le Graal olympique. Vous serez à Rio cet été ? Doublement, j'y serai pour donner de la voix à l'équipe de France, mais j'ai aussi une amie brésilienne qui avait arrêté après les jeux. Elle est revenue sur le terrain et m'a demandé de l'aider. Je la coache depuis deux ans. Elle était 277e mondiale, aujourd'hui elle est douzième et elle est sélectionnée pour représenter son pays.

"Avec Paris 2024, on peut renforcer nos codes, nos valeurs et notre pays"

Comme de nombreux sportifs, vous faites partie du comité des athlètes pour promouvoir la candidature de Paris 2024. Pourquoi avoir accepté cette mission ? J'ai accepté parce que j'aime mon pays, la jeunesse et le sport. J'ai eu la chance de terminer ma carrière en étant capitaine d'une équipe de France pluriethnique, intergénérationnelle, qui est rentrée de Londres avec le drapeau français qui nous animait. On était fier. Pour toutes ces raisons, on ne peut pas dire non à Paris 2014. Sur les autres candidatures de la France pour organiser les JO, les athlètes étaient plus là pour la photo. Là il y a un nouveau départ avec une grosse réflexion, un travail d'étude avec les sportifs. Vous avez le sentiment d'être au centre de cette candidature ? L'objectif est clair : mettre le sportif au cœur du projet. Je pense qu'il faut utiliser tous les réseaux et les forces vives aujourd'hui pour prouver que le projet est viable. Le projet n'est pas uniquement une fête : c'est un projet économique, avec un héritage pour la jeunesse. Les sportifs qui seront en 2014, ce sont nos enfants, qui pourraient aussi être journaliste ou à l'accueil de notre pays. C'est toute une manne économique qui va vivre. Si on peut renforcer nos codes, nos valeurs et notre pays, parce qu'on parle de Paris 2024, mais c'est la France. Ça pourra aussi nous apporter du tourisme et de la création d'emplois. On est tous là, sportifs et non sportifs, et nous n'avons à cœur que d'avoir Paris 2024. Maintenant, il faut prouver, travailler, faire des analyses de fond et être proche des Français pour leur expliquer pourquoi on veut les jeux, à qui cela va servir et quel héritage on va avoir demain. Paris aura quatre adversaires : Budapest, Hambourg, Los Angeles et Rome. Quelle ville redoutez-vous le plus ?Je pense qu'aujourd'hui toutes les villes sont à redouter parce que chaque programme est crédible. Notre force est de savoir qu'il y aura de l'adversité, mais d'avoir un projet national. Notre projet doit être pertinent sur tous les axes. On a parlé de la biodiversité, de l'environnement, de l'héritage, de la diversité, de la mixité et de la jeunesse. Je pense qu'il faut qu'on soit très pointu, pertinent, ambitieux et innovant. La candidature la plus importante et la plus dangereuse sera la nôtre. Il faut qu'on respecte nos codes et nos valeurs.

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