Depuis la création du championnat de Formule 1 en 1950, seules deux femmes ont pris le départ d'un Grand Prix : Maria Teresa de Filippis en 1958 et Lella Lombardi de 1974 à 1976.
Pourquoi une telle rareté ? Tout le monde le sait, les sports automobiles sont ultra dominés par les hommes. Certaines figures masculines emblématiques, et parfois machistes de ce milieu, n'hésitent pas à critiquer les capacités des femmes à piloter un bolide de plusieurs millions d'euros.
Helmut Marko, consultant de l’équipe Red Bull, affirmait dans les colonnes du journal autrichien Kleine Zeitung en 2019 que « les femmes ne sont pas assez fortes ou agressives pour courir en Formule 1 ». De son côté, Bernie Ecclestone, ancien patron de la F1, déclarait en 2016 : « Les femmes ne seront jamais prises au sérieux en F1 parce qu’elles ne sont pas assez fortes pour conduire assez vite ». Enfin, Sir Stirling Moss, ancien pilote, déclarait lui aussi en 2013 : « Le stress mental est trop dur pour une femme. Elles ne peuvent pas faire face à cela ».
Des préjugés démentis par la réalité
Ces préjugés ne résistent pas à l’examen des faits. La Formule 1 repose autant sur des compétences techniques, stratégiques et mentales, que sur des capacités physiques.
Les femmes sont déjà nombreuses à exceller dans des professions exigeantes sur le plan physique. Par exemple, les femmes pilotes d’avions de chasse doivent supporter des forces allant jusqu’à 9 g. Pourquoi ne seraient-elles pas capables d’encaisser les 4 g des accélérations et des freinages en Formule 1 ?
À cause de ces idées reçues s'installe un cercle vicieux. Ces a priori poussent les femmes à s’autocensurer face à la domination masculine dans le milieu. Le manque de soutien permanent des sponsors et des investisseurs, parce que « femme », est un exemple parmi tant d'autres de l'arrêt brutal de nombreuses carrières.
Des échelons difficiles à gravir
Pour atteindre la Formule 1, les pilotes doivent gravir une hiérarchie complexe qui commence par le karting, puis progresse à travers les catégories de Formule 3 et de Formule 2. Ces échelons sont souvent très compétitifs et demandent des ressources financières considérables.
À la question, pourquoi n’y a-t-il pas aujourd’hui de femmes en F1 ? Toto Wolff, le patron de Mercedes, a récemment apporté un élément de réponse à ce sujet :
Quand vous regardez la grille aujourd’hui en karting, pour 4000 garçons, vous aurez probablement 20 filles, a-t-il déclaré au podcast "Beyond the Grid".
Lando Norris, pilote chez McLaren, pointe le même problème que Toto Wolff, au micro de la journaliste Natasha Bird : pour avoir une femme en F1, il faut prendre le problème à la racine, c’est-à-dire en karting !
Le nombre de filles qui se lancent dans le sport automobile est bien inférieur à celui des garçons. Si l’on considère qu’il y a 100 000 garçons à travers le monde qui veulent se lancer et qu’une vingtaine seulement y parvient, alors les chances pour les filles d’accéder à la Formule 1 sont inférieures à 0,0002 %. Ce n’est donc pas un manque de talent ou toute autre raison subjective qui explique leur rare présence en F1, mais bien une question de probabilité.
Le pilote britannique, très engagé en faveur de la place des femmes en F1, ne voit qu'une seule solution pour leur permettre d'atteindre le plus haut niveau à l'avenir :
L’essentiel est d’inciter davantage de filles et de femmes à se lancer dans ce sport, en commençant par le karting et en gravissant les échelons. Cela ouvrirait la voie à un plus grand nombre... et, un jour, permettrait à l’une d’entre elles de devenir pilote de Formule 1.
Mais il existe un autre élément qui complique l’accession des femmes à la F1 : le nombre de places sur la grille de départ. Avec 20 baquets, les places sont déjà très, très chères entre hommes.
Ce n’est pas comme en football où il y a 30 équipes différentes et où vous pouvez tous faire partie de ces équipes, nous explique Lando Norris. Il n’y a que 20 pilotes dans le monde et c’est tout. Il y a des milliers de personnes qui essaient d’y entrer, alors pour n’importe qui, c’est extrêmement difficile d’y arriver.
Une évolution lente mais réelle
Malgré ces obstacles, des initiatives commencent à se lancer progressivement.
Le W Series, un championnat exclusivement féminin, a vu le jour en 2018. Créé pour répondre au manque de femmes pilotes dans les plus hauts niveaux du sport automobile, notamment en F1, il s'arrête après des problèmes financiers en 2022. Par la suite, il est remplacé par la F1 Academy qui utilise des F4 au lieu des F3 habituelles.
De fait, en 2023, grâce à la F1 Academy, la Britannique Jessica Hawkins a effectué des essais pour Aston Martin en Hongrie, tandis que Jamie Chadwick, pilote de développement pour Williams, est considérée comme une étoile montante du sport automobile. Preuve que ces nouvelles compétitions portent leurs fruits et que le talent féminin n'est pas en reste.
De leur côté, les écuries de F1 commencent, elles aussi, à miser sur les femmes. Alpine, McLaren ou encore Ferrari pour ne citer qu'elles, ont lancé leur propre programme visant à accroître la place des femmes ingénieures et pilotes au sein des structures. À terme, l'objectif de ces programmes est d'atteindre 30 % de femmes dans les effectifs d'ici trois ans.
La faible représentation des femmes en Formule 1 résulte donc d'une combinaison de facteurs historiques, culturels et économiques. Toutefois, des progrès sont en cours pour ouvrir la voie à une plus grande mixité dans ce sport. Si tous les acteurs du milieu — équipes, instances dirigeantes et sponsors — unissent leurs efforts pour lever les obstacles d’accès, il est fort probable que nous puissions revoir dans les années à venir des femmes sur une grille de départ d’un Grand Prix de Formule 1.