À Paris, les Jeux Olympiques de 2024 ont été les premiers jeux (presque) paritaires de l’histoire (49,14% d'athlètes féminins), symbole de la volonté d’améliorer la représentation et la participation des femmes dans le sport. Pourtant, encore aujourd’hui, de nombreuses différences subsistent entre le sport masculin et le sport féminin. Des différences qui ont perduré au fil des années et qui ont forcé les sportives à braver les interdits qui les empêchaient de pratiquer un sport. Malgré les progrès actuels, les femmes ont longtemps été tenues à l’écart de la pratique sportive. Certaines femmes ont su prendre le contre-pied des tendances de l’époque et s’affranchir des dires de certains que le sport féminin a évolué. D’abord réservé aux aristocrates et aux bourgeois, le sport féminin commence à émerger au tournant des années 1900.
Pourtant, il n’y a pas ou peu de traces de leurs activités dans les archives et il est difficile de trouver des chiffres recensant la présence des femmes au sein des fédérations sportives à cette époque. La raison : une exclusion systématique des femmes. Une difficulté à laquelle se confrontent les chercheuses et les chercheurs, avec la volonté de mettre en lumière la pratique du sport au féminin. Florys Castan-Vicente, enseignante-chercheuse en histoire et histoire du genre à l'université Paris-Saclay, explique : "Longtemps, on ne s'en est pas rendu compte, parce qu'on cherchait des traces du sport féminin uniquement à l'intérieur des fédérations. Or, les fédérations sportives, qui naissent dans ces années-là, se créent en excluant les femmes." La plupart des premières fédérations sportives sont exclusivement masculines, et la pratique sportive des femmes s'exerce uniquement dans un petit panel de sports.
Le rôle des médias dans le déploiement des compétitions
Les fédérations, ne souhaitant pas développer une pratique féminine du sport, ont laissé un rôle particulier aux médias dans la mise en place de compétitions. L’un d’entre eux, Le Miroir des Sports, a permis d’organiser les premières compétitions d’aviation, de cyclisme et d’automobile, qui font leur apparition dans les années 1910. Pourtant, l’organisation et la promotion du sport féminin divisent la presse, où le sujet devient un véritable débat de société. Un partage des avis met en avant deux tendances à cette époque, comme l’explique Florys Castan-Vicente : "On trouve pas mal de journalistes qui se plaignent que ce n'est pas assez joli, que c'est le début de la fin de la civilisation", avant de préciser : “Mais on a aussi des défenseurs”. Henri Desgrange est l’un d’entre eux. Rédacteur en chef de “l’auto”, il accepte la pratique sportive des femmes au nom du redressement de la France après la guerre et offre une tribune à Alice Milliat. Les défenseurs sont peu nombreux par rapport aux réfractaires qui mettent en avant différents arguments contre le développement du sport féminin. Face à ces prises de paroles féminines, les détracteurs se mobilisent et qualifient Alice Milliat de “Napoléon du sport” et de “Mussolini” dans différentes presses.
Freins et craintes face au progrès dans le sport
Fondés sur des clichés misogynes, les arguments des détracteurs du sport féminin sont utilisés pour freiner le développement du sport féminin. Les premières critiques tournent autour de l’esthétique : des femmes pratiquant un sport ne rentreraient pas dans les normes de beauté. Cette première critique liée à l’esthétisme est aussi à mettre en lien avec la critique de la pudeur. "On considère que dans les normes de féminité, il y a la pudeur. D'ailleurs, être une bonne épouse pudique, respectable, et se mettre en short et jouer devant les spectateurs, ça remet en cause cette norme de pudeur." Un obstacle à la pudeur qui entraîne des comparaisons, précise la chercheuse : "Parfois même, il arrive que des sportives qui se montrent en short devant les spectateurs soient comparées à des prostituées." Certaines critiques sont aussi liées à la santé et à la place de la femme dans la société de l’époque.
Des critiques qui renvoient notamment au rôle de mère : "On a peur que le sport les détourne moralement de leur devoir d'épouse et de mère. Mais on a peur aussi que le sport soit trop intense pour les femmes." Des craintes qui vont poursuivre les femmes jusque dans les années 1960, où, peu à peu, les structures sociétales se modifient. Ces modifications structurelles de la société sont liées au contexte historique plutôt qu’à un éveil des mentalités.
Première Guerre mondiale et première bascule pour le sport féminin
En juin 1914, l’assassinat de l’archiduc autrichien François-Ferdinand à Sarajevo est l’événement déclencheur de la Première Guerre mondiale. Pour le sport féminin, cette guerre constitue un élément déclencheur, une première grande bascule dans la perspective d’un déploiement à plus grande échelle. "On entend souvent que les femmes les remplacent [les hommes] dans les usines, et dans plein de professions. Oui, mais, il se trouve que les terrains de sport sont également vides." En remplacement, les femmes vont occuper les terrains de sport. Pour des pratiques de loisirs plus compétitives, elles occupent la place que les hommes ont laissée. "Les journaux sportifs n'ont plus rien à raconter. De fait, les femmes vont aussi trouver davantage de place à ce moment-là sur les terrains." C’est dans ce contexte que la pratique féminine du sport connaît un premier essor.
Une fois installée sur les terrains, ce premier essor s’accompagne d’un changement de mentalité vis-à-vis de la pratique : "Après la Première Guerre mondiale, on commence à se dire que peut-être qu'une femme forte, une femme sportive serait en réalité plus solide pour donner naissance à des enfants, eux-mêmes plus forts." Les femmes féminisent peu à peu les pratiques sportives, et l’entre-deux-guerres permet la popularisation du sport féminin. En 1928, lors des Jeux Olympiques d’Amsterdam, 277 femmes parviennent à participer aux épreuves d’athlétisme lors des olympiades, aux côtés de 2 606 hommes.
Pionnières, symbole de l’évolution et du travail à réaliser
"Alice Milliat, vous avez pu la voir dans la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques. Elle faisait partie des femmes en or." Les femmes en or, ces statues de femmes pionnières et engagées qui ont été dévoilées le long de la scène lors de la cérémonie des Jeux Olympiques de Paris. Alice Milliat est une figure du sport féminin : sportive mais surtout ambassadrice a fait partie de ces femmes en or, qui trône désormais dans la cour d’honneur de l’assemblée nationale. Le XXe siècle marque la naissance de plusieurs sections féminines de sport. "Il y a une structuration institutionnelle qui se fait grâce à Alice Milliat." Une structuration qui passe par la mise en place de fédérations. Alice Milliat, pionnière du sport féminin, sera l’une des dirigeantes qui encouragent la pratique internationale du sport par les femmes. En 1917, les dirigeants des clubs de sport féminins parisiens créent la FSFSF (Fédération des Sociétés Féminines Sportives de France).
En 1919, Alice Milliat en prend la tête. Peu de temps après, en 1921, elle fonde la FSFI (Fédération Sportive Féminine Internationale) et unifie les différents mouvements nationaux des sportives avant d’organiser des Jeux Mondiaux Féminins. Quatre éditions ont lieu entre 1926 et 1934. À la tête de ces fédérations, Alice Milliat développe les pratiques et les compétitions féminines. Après la guerre, la société associe encore les sports à des qualités masculines présumées – la virilité, la force, le courage – en excluant les femmes sous différents prétextes. Pour contrer cela, Alice Milliat contourne les règles misogynes de l’époque afin d’offrir aux femmes des compétitions en alternance avec celles proposées aux hommes et se bat pour inclure les femmes dans les compétitions officielles.
L’obtention de places féminines dans des compétitions, ce fut aussi le combat de Kathrine Switzer. En 1967, cette américaine s’inscrit au marathon de Boston alors que la discipline est formellement interdite aux femmes. Florys Castan-Vicente raconte l’anecdote autour de cette course : “un organisateur qui a essayé de l'arrêter physiquement et l'empêcher de courir sur cette course” et ajoute “il y a son copain qui l'a défendue et qui a poussé l'organisateur. Et elle a pu finir la course.” L’histoire du sport féminin est une lutte constante contre les préjugés, les inégalités et les barrières systémiques. Si des figures emblématiques comme Alice Milliat ou Kathrine Switzer ont ouvert la voie à des avancées majeures, par la pratique ou par l'institutionnalisation, le chemin reste encore semé d’embûches. Aujourd’hui, la parité dans le sport ou l'augmentation de la visibilité des sportives dans les médias ne doivent pas masquer les inégalités persistantes, notamment en termes de reconnaissance, de financement ou d’accès aux ressources.