Dans l'un des quartiers les plus pauvres et les plus denses de Londres, un programme réservé aux femmes les incite à se mettre au kayak et au paddle. Des musulmanes y découvrent un sport qu'elles pensaient inaccessible.
"Quand je suis sur l'eau, j'ai l'impression de faire quelque chose pour moi et non pour les autres", se réjouit Dilruba Begum, en naviguant sur son kayak sur un canal de l'est de Londres qui traverse le quartier multiculturel de Poplar, où vit une importante population originaire du Bangladesh.
Il y a deux ans, alors qu'elle croulait sous les tâches domestiques, une amie lui a parlé de ce programme gratuit, tout juste lancé, réservé aux femmes, pour apprendre le paddle et le kayak près de chez elle.
Aujourd'hui, cette femme de 43 ans est une monitrice qualifiée de ces sports, grâce à ce programme géré par l'organisme local Poplar HARCA.
Au départ, 18 femmes participaient. Elles sont maintenant environ 70.
Parmi elles, il y a des femmes qui "travaillent, certaines sont femmes au foyer, d'autres ne sont pas sorties de chez elles depuis des années", explique Dilruba à l'AFP.
Neuf, dont Dilruba et Atiyya Zaman, 38 ans, sont devenues monitrices et ont même lancé le premier club nautique de Londres avec une direction exclusivement féminine et musulmane.
Par un après-midi pluvieux de septembre, toutes deux animent leur première session, enseignant à un petit groupe de femmes à utiliser des kayaks et des paddles gonflables.
Elles aident chacune des femmes à mettre leur gilet de sauvetage, font une démonstration des différentes manœuvres, avant de commencer le cours.
- Voile -
"J'habite à côté du canal et je voyais tout le temps des gens (sur l'eau). Je me demandais ce que je ressentirais" à leur place, dit Atiyya, sur un kayak orange.
De nombreuses personnes noires, asiatiques ou issues de différentes minorités ethniques (black, Asian and minority ethnic, BAME), qui constituent la plus grande partie de la population du quartier, "pensaient que les sports nautiques n'étaient pas pour elles", explique Jenefa Hamid, de Poplar HARCA.
Cela est peut-être dû à la peur de la noyade ou à des raisons culturelles et religieuses, ou "simplement à un sentiment d'exclusion sociale", estime-t-elle.
"Parmi les femmes qui ont rejoint le groupe, certaines n'étaient jamais allées dans l'eau avant", explique Atiyya.
Le fait que le programme soit réservé aux femmes et que celles-ci puissent mettre la tenue de leur choix a permis de convaincre les femmes musulmanes de participer.
Pour Naseema Begum, une monitrice de 47 ans qui participe au programme depuis ses débuts, un "tabou" empêchait les femmes qui étaient voilées de tenter les sports nautiques.
Elle-même voilée, elle veut montrer qu'"on peut porter n'importe quoi et aller dans l'eau". "Tant que vous avez l'équipement adéquat, tout le monde peut participer", insiste-t-elle.
- Prix accessibles -
Les femmes ont également été attirées par les prix accessibles proposés. Les clubs nautiques privés sont "inabordables si vous avez une famille à entretenir", souligne Naseema. Elle-même aurait du mal à justifier de dépenser une telle somme pour ses "loisirs".
Naseema préside désormais le club nautique "Oar and Explore" ("Rame et Explore"). Avec Atiyya et Dilruba, elles espèrent réunir suffisamment de fonds pour acheter leurs propres kayaks et paddles ainsi qu'un hangar pour les stocker, près d'un nouveau ponton qui doit être construit dans le quartier.
"Ce que j'ai ressenti, le plaisir et la confiance que j'ai acquis, je veux le transmettre à d'autres", explique Dilruba. Ce qu'elle aime particulièrement, c'est "s'asseoir" sur son embarcation, "sans penser à rien d'autre".
Les monitrices nous ont ouvert "un nouveau monde" et donné accès à "de nouvelles compétences que nous n'aurions jamais pensé avoir", se félicite-t-elle.
Sur l'eau "tu peux être n'importe qui".
Par Akshata KAPOOR / Londres (AFP) / © 2024 AFP