"Les femmes n'ont pas de complexe à avoir" par rapport aux hommes dans les courses au large, assure à l'AFP Justine Mettraux, devenue la navigatrice la plus rapide de l'histoire dans le Vendée Globe.
Arrivée huitième de la course à la voile en solitaire et sans escale après 76 jours de mer, la Suissesse de 38 ans s'est félicitée mercredi de voir des femmes s'engager sur "des projets performants (...) avec les moyens de bien se classer."
QUESTION: Vous êtes la plus rapide de l'histoire de l'épreuve, la Française Clarisse Crémer est 11e après 77 jours de course et trois autres femmes sont encore en mer. Qu'est-ce que cela vous inspire?
REPONSE: "Historiquement, les femmes ont plutôt réussi à boucler leur tour du monde. Pip Hare a démâté mais Clarisse et moi sommes arrivées et les autres tiennent le bon bout. Sur cette édition, les femmes ont des projets compétitifs qui permettent de tirer leur épingle du jeu".
Q: Qu'est-ce qui a changé par rapport à 2020?
R: "Pour la première fois depuis très longtemps, Samantha Davies avait un bateau neuf, et le mien est de la génération précédente (Teamwork-Team Snef, ex-Charal mis à l'eau en 2018). Avec Clarisse, on a laissé pas mal de concurrents derrière nous, même avec des bateaux plus récents, on n'a pas à avoir de complexe face aux concurrents masculins. Les voiliers Imoca sont très puissants, ce sont des machines pas faciles à gérer. Les manoeuvres sont très physiques mais c'est un paramètre parmi d'autres: il y a les réglages, la technique, la stratégie... La voile est un sport plein de finesse".
Q: Que faut-il pour développer encore plus la voile au féminin?
R: Des initiatives sont mises en place depuis cinq ans. Il y a les quotas obligatoires sur les grandes courses en équipage, dont j'ai bénéficié, où les femmes étaient peu présentes. En régate olympique, on doit naviguer en mixte sur les courses à deux, comme sur d'autres courses telle la Mini-Transat, ça permet aux femmes d’engranger une expérience solide. On va aussi chercher des femmes sans règle imposée, parce qu'elles ont pu construire cette expérience et elles ont les compétences et le talent. C'est aussi important d'avoir des parraineurs qui se disent qu'ils peuvent +performer+ avec une femme, et pas simplement boucler un tour du monde et faire de la communication. On voit des projets performants qui émergent et sur le prochain Vendée Globe, il y des femmes qui engagent des projets avec les moyens de bien se classer. Plus il y a de modèles (pour les jeunes navigatrices), plus ça aide."
Q: vous évoquez des modèles à suivre. Quel a été le vôtre?
R: "Mon modèle, c'est clairement Ellen McArthur, beaucoup de femmes de ma génération ont été inspirées par elle, c’était un exemple de compétitivité, aussi en terme de personnalité et d'engagement pour l'environnement. Elle détient toujours le record du monde en solitaire en multicoque pour une femme (71 j 14 h 18 mn 33 sec en février 2005).
Q: Et maintenant, qu'allez-vous faire?
R: "L'émotion retombe mais je ne me rends pas vraiment compte que le Vendée Globe est terminé. Je n'ai pas encore réussi à faire une vraie nuit, dormi aussi longtemps que j’aimerais. J'ai déjà des cernes à la base et ça ne s'est pas amélioré. Il faut se laisser le temps de la récupération, on remettra le bateau à l’eau fin avril-début mai pour la saison qui commence".
Q: Quelles sont vos prochaines courses?
R: Mon contrat se termine fin 2025, après la Transat en double (en octobre), c'est l'objectif de cette saison. Après, je me laisse le temps de la réflexion pour voir ce qui se profile, les opportunités, ce dont moi j’ai envie aussi vraiment. L'Ocean Race me tient à coeur, j'ai vraiment envie de le refaire après trois participations, pas forcément en tant que skipper mais je peux facilement trouver une place et faire quelques étapes".
Par Cyril JULIEN / Paris (AFP) / © 2025 AFP