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Abou Mohammed al-Jolani, l'homme derrière la chute de Bachar al-Assad

Par Justine Houllé

Après une offensive de 12 jours, le groupe islamiste rebelle Hayat Tahrir al-Cham (HTC) est entré dimanche 08 décembre dans Damas, provoquant la fuite du président Bachar al-Assad. Derrière l'opération fulgurante qui a mis fin à 54 ans de règne du Parti Baas, un homme : Abou Mohammed al-Jolani.

The leader of Syria's Islamist Hayat Tahrir al-Sham (HTS) group that headed a lightning rebel offensive snatching Damascus from government control, Abu Mohammed al-Jolani, address a crowd at the capital's landmark Umayyad Mosque on December 8, 2024. - Jolani, now using his real name Ahmed al-Sharaa, gave a speech as the crowd chanted "Allahu akbar (God is greatest)," a video shared by the rebels on their Telegram channel showed. (Photo by Aref TAMMAWI / AFP)

Une main de fer dans un gant de velours : c'est ainsi que l'on peut décrire celui qui a libéré la Syrie de plus de 50 ans de régime autoritaire et sanglant. Abou Mohammed al-Jolani, de son vrai nom Ahmed al-Chareh, est désormais le nouvel homme fort du pays, celui qui souhaite faire entrer la République arabe syrienne dans une "nouvelle ère". Pourtant, derrière l'apparence polissée se cache un personnage aux desseins clairs : instaurer en Syrie un gouvernement guidé par une idéologie islamiste, sunnite et conservatrice. Décryptage de l'homme à l'origine de la chute de la famille al-Assad.

En 2003, Abou Mohammed al-Jolani prête allégeance au djihadisme.

Né en 1982, Ahmed al-Chareh est le fils d'exilés syriens, selon le média anglophone The New Arab. De retour dans le pays à la fin des années 1980, le jeune garçon est rapidement passionné par la politique. Seulement, la seconde intifada palestinienne -entre 2000 et 2005- le bouleverse profondément ; dès lors, la situation marque un tournant dans sa perception des relations internationales, alors qu'il a à peine la vingtaine. C'est dans ce contexte qu'au moment de l'effondrement des tours jumelles du World Trade Center en septembre 2001, Ahmed al-Chareh éprouve un "sentiment de bonheur". Le jeune homme, qui voulait devenir médecin, se radicalise et sombre lentement dans le djihadisme.

En 2003, lors de l'invasion américaine de l'Irak, Ahmed al-Chareh part à Bagdad et rejoint les rangs d'Al-Qaïda. Après avoir prêté allégeance à l'organisation terroriste, il change de nom et s'appelle désormais Abou Mohammed al-Jolani, en hommage à son grand-père. Pendant son enrôlement, le combattant djihadiste est notamment emprisonné 5 ans dans une prison américaine en Irak. Un séjour derrière les barreaux qui l’amène à nourrir un nouveau projet : celui de rentrer en Syrie. C'est ainsi qu'en 2011, alors que la révolte syrienne éclate, Abou Mohammed al-Jolani retourne en Syrie et y fonde le front Al-Nosra, une branche d'Al-Qaïda.

2016 : c'est l'heure de la rupture avec Al-Qaïda et le début d'une nouvelle image acceptable aux yeux de la communauté internationale.

Dès lors pour Abou Mohammed al-Jolani, un seul objectif compte : anéantir à tout prix le Parti Baas, et notamment le régime de Bachar al-Assad. Or, le chef du front Al-Nosra comprend que pour déloger la famille al-Assad du pouvoir, il est nécessaire pour lui d'acquérir une légitimité internationale et de devenir plus fréquentable. En 2016, il prend donc la décision de rompre avec Al-Qaïda, tout en commençant à se présenter comme un défenseur du pluralisme et de la tolérance. Contrairement à l'État islamique (EI), il affirme entre autres ne pas avoir l'intention de lancer des attaques contre l'Occident.

Ainsi, pour aller toujours plus loin dans l'adoucissement de son image à l'international, Abou Mohammed al-Jolani troque le turban des djihadistes pour un uniforme militaire et parfois un costume civil. En 2017, le front Al-Nosra, dont il est le fondateur, change de nom : désormais, ce sera le HTC, le groupe Hayat Tahrir al-Cham. Puis il poursuit sa lancée et impose aux rebelles radicaux du nord de la Syrie une fusion avec le HTC ; lorsque c'est chose faite, Abou Mohammed al-Jolani développe une zone autonome dans le governorat d'Idlib. Administration civile, collecte des impôts, services publics limités, délivrance de cartes d'identité, gestes répétés en faveur de la minorité chrétienne... Abou Mohammed al-Jolani tente de s'attirer la sympathie du plus grand nombre, même si officieusement, il reste toujours en faveur d'un gouvernement guidé par une idéologie islamiste et conservatrice.

Pourtant, à Idlib, le HTC est accusé par les habitants, les proches de détenus et les défenseurs des droits humains, d'exactions qui s'apparentent, selon l'ONU, à des crimes de guerre. Même s'il cherche avant tout à se présenter comme le "protecteur des minorités", la démocratie et les droits humains ne semblent pas au sommet de ses priorités.

"Il va mettre de l'eau dans son eau pour pouvoir arriver à ses fins".

Selon Fabrice Balanche, auteur de "Les leçons de la crise syrienne" (Odile Jacob), Abou Mohammed al-Jolani compte bien prendre les rênes de la Syrie. "Son ambition est, tout simplement, de prendre le pouvoir en Syrie et d'être adoubé par les pays arabes et occidentaux. La Turquie, c'est déjà fait, puisque c'est elle qui est derrière cette offensive", notamment après avoir fourni "l'argent et les armes pour lancer l'attaque contre Damas", développe le maître de conférences. Abou Mohammed al-Jolani est "quelqu'un d'intelligent, qui sait qu'il doit composer avec l'Occident. Il va mettre de l'eau, non pas dans son vin, mais dans son eau, pour pouvoir arriver à ses fins". Selon Fabrice Balanche, l'ancien membre d'Al-Qaïda a pour ambition d'"instaurer un régime islamiste en Syrie, et lui à sa tête". Pour l'heure, les rebelles qui ont pris le pouvoir à Damas ont nommé Mohammad al-Bachir à la tête du gouvernement transitoire syrien. En clair : il assurera les fonctions de premier chef du gouvernement post-Bachar al-Assad jusqu'au 1er mars 2025.

De leur côté, le Parti Baas a affirmé lundi qu'il soutiendrait la phase de transition dans le pays. "Nous resterons favorables à une phase de transition en Syrie visant à défendre l’unité du pays", a déclaré Ibrahim Al-Hadid, secrétaire général du parti de l'ancien président al-Assad, dans un communiqué. D'autre part, les États-Unis ont dit être "déterminés" à ne pas laisser l'État islamique se reconstituer ou créer des sanctuaires en Syrie, a déclaré lundi le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken. De plus, il a également appelé à tout faire pour "éviter une fragmentation" du pays après la chute du pouvoir de Bachar Al-Assad.

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