Après avoir dénoncé les méthodes du groupe Orpea et le business du grand âge dans "Les Fossoyeurs" (Fayard), le journaliste Victor Castanet s'attaque désormais à la petite enfance. Dans son nouveau livre-enquête "Les Ogres" (Flammarion), le journaliste accuse notamment Aurore Bergé, ancienne ministre en charge de la Famille, d'avoir été arrangeante avec le lobby des crèches privées et Elsa Hervy, sa porte-parole. Au vu de la bombe lâchée par Victor Castanet, on fait le point sur les dérives du secteur de la petite enfance avec Julie Marty-Pichon, membre du collectif "Pas de bébé à la consigne".
La petite enfance, un "secteur soumis à la concurrence" et aux "lois du marché".
Premier constat pour Julie Marty-Pichon : au sein du secteur de la petite enfance, c'est le "système" qui est "critiqué, pas les professionnels qui travaillent". En cause : les "délégations de service public" mises en place "depuis un petit moment" par les mairies et les collectivités locales qui s'adressent à des sociétés privées pour la gestion des crèches privées. Un système basé donc sur les "appels d'offre, où le critère le plus prépondérant est le prix", explique la membre du collectif "Pas de bébé à la consigne".
Autre point qui hérisse les poils de Julie Marty-Pichon : le secteur de la petite enfance "est soumis à la concurrence parce que les lois du marché s'imposent depuis une dizaine, une quinzaine d'années". Ainsi, quand les collectivités "[n'ont] pas forcément les moyens, [ne sont] pas suffisamment [formées] sur les enjeux de la petite enfance" ou "ne [veulent] pas s'occuper d'une situation trop technique", "on délègue et on prend au mieux offrant", déplore la membre du collectif "Pas de bébé à la consigne".
Une manoeuvre financière qui, au bout du compte, ne peut qu'entraîner un "problème", constate Julie Marty-Pichon. "À l'année, une place de crèche coûte [pour les collectivités] entre 10 000 et 13 000 euros. Une place à 3, 4, 5 000 euros ne peut pas fonctionner".
"On accueille de plus en plus d'enfants à la chaîne".
Après ces déclarations, Julie Marty-Pichon soutient que les "dérives" dans le secteur des crèches privées remontent "très régulièrement", grâce aux signalements de nombreuses directrices de crèche. "Oui, le rationnement des couches et des repas a existé et existe toujours", dénonce la membre du collectif "Pas de bébé à la consigne", qui va dans le sens des conclusions du rapport de l'Igas, l'Inspection générale des affaires sociales, sur la qualité de l'accueil et la prévention de la maltraitance dans les crèches datant de mars 2023.
Ainsi, la principale dérive observée dans le secteur de la petite enfance concerne la marchandisation du système, fustige Julie Marty-Pichon : "la petite enfance, le travail social, l'accueil des publics vulnérables et fragiles comme les personnes âgées ne devraient pas être soumis aux lois du marché !". Dès lors, les méthodes utilisées par les géants des crèches privées accordent davantage d'intérêt aux gains que rapportent la marchandisation du secteur de la petite enfance. Par conséquent, les enfants, leur accueil et leur bien-être dans les structures ne seraient plus qu'une variable d'ajustement du système... preuve en est ! "On accueille de plus en plus d'enfants à la chaîne", alerte Julie Marty-Pichon.
Au-delà de l'impact de ces dérives sur les enfants inscrits en crèches privées, l'incidence sur les professionnels de la petite enfance doit, elle aussi, être prise au sérieux. "Quel que soit l'endroit, [la situation est tendue] partout depuis plus de 10 ans. Le système de financement [des crèches privées] est complexe. Il tend les professionnels et met de la pression sur la fréquentation des structures", déplore la membre du collectif "Pas de bébé à la consigne".
Dérives des crèches privées : même constat dans les crèches publiques ?
Face aux dérives des crèches privées, les crèches publiques ont, elles aussi, du mal à se tenir à flots. "Oui, [les dérives arrivent]" dans le secteur public, confesse Julie Marty-Pichot, qui poursuit : "avoir fait rentrer le privé lucratif dans la danse a fait niveler vers le bas l'ensemble du secteur".
Membre du collectif "Pas de bébé à la consigne", Julie Marty-Pichot finit par avancer une hypothèse : "s'il n'y avait que du public et de l'associatif [dans le secteur de la petite enfance] -comme c'était le cas il y a 20 ans-, ça marcherait certainement mieux". Reste à voir maintenant si le livre-enquête de Victor Castanet remettra de l'ordre dans le secteur...
Pour réécouter l'entretien de Julie Marty-Pichot avec Jean-Jacques Bourdin dans la chronique "Tout compte fait", cliquez ici.
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