Cette arrestation a déclenché une vague d'indignation en France et à l'international, mettant en lumière les tensions persistantes entre Alger et Paris dans un contexte diplomatique déjà fragile. Boualem Sansal, qui réside principalement en France et qui a adopté la nationalité française cette année, pourrait encourir de lourdes peines en vertu de la législation algérienne. De nombreuses voix s’élèvent, comme celle de Yaël Braun-Pivet qui appelle à la libération de l’écrivain, au micro de Jean-Jacques Bourdin ce mardi 26 novembre.
L’homme de lettres de 75 ans s’est longuement penché sur son pays d’origine au micro d’André Bercoff et Céline AlonZo dans l’émission La Culture dans tous ses états. Le 3 octobre 2024, Boualem Sansal a livré une analyse sans complexe sur la situation de l’Algérie et sa relation compliquée avec la langue française. À travers ses propos, l’écrivain franco-algérien a dressé le tableau d’un pays où la francophonie recule, et où les dynamiques culturelles et politiques se heurtent à des tensions profondes.
« L’Algérie, le grand absent de la francophonie »
Boualem Sansal a pointé du doigt ce qu’il considère comme un paradoxe majeur : l’absence de l’Algérie dans la francophonie mondiale, malgré son passé colonial et l’empreinte durable de la langue française dans sa société. « La France, 60 ans après, n’est pas arrivée à amener l’Algérie à adhérer à la francophonie. C’est le seul pays francophone au monde qui n’est pas dans la francophonie, alors que c’est le plus important. »
Il a rappelé que ce choix n’est pas uniquement culturel, mais aussi profondément politique. « Peut-être qu’il y avait derrière une démarche néocoloniale, et l’Algérie l’a perçue comme une volonté de domination plutôt qu’un partenariat. » Cependant, pour Sansal, le prix de cette rupture est élevé : le recul de la francophonie en Algérie s’accompagne d’une perte d’accès à une langue autrefois vectrice de culture.
Auparavant très présent dans les programmes, le français est maintenant relayé au second plan : « On n’enseigne plus le français dans les écoles publiques, ou alors à raison d’une heure par semaine. » Cette réduction drastique s’inscrit dans une politique plus large d’arabisation, mais aussi d’ouverture vers l’anglais. L'écrivain conclut avec une comparaison entre l’Algérie et le Rwanda, un pays qui a basculé du français à l’anglais en quelques années seulement.
« Dans cinq ans, l’Algérie pourrait suivre cet exemple. L’ambition du président est claire : angliciser le pays. » Ce choix, selon Boualem Sansal, reflète une volonté de s’affranchir des liens historiques avec la France et de s’aligner sur des stratégies globales, mais il pourrait aussi entraîner une rupture culturelle.
« Une islamisation galopante et un climat politique inquiétant »
Outre le recul du français, Boualem Sansal a également évoqué avec inquiétude la montée de l’islamisation en Algérie. « L’islamisation a atteint des niveaux extrêmes, et elle devient de plus en plus radicale, de plus en plus bête. » L’écrivain déplore une situation où les discours religieux radicaux gagnent du terrain, influençant non seulement les mentalités, mais aussi les politiques publiques.
Ce phénomène s’accompagne, selon lui, d’un durcissement du régime : « La dictature actuelle n’a jamais atteint un tel niveau. C’est pire que tout ce qu’on a connu auparavant. » Il cite par exemple des déclarations récentes du président algérien, qui a évoqué une invasion possible d’Israël en cas d’ouverture des frontières avec l’Égypte. « Quand un président tient de tels propos, on ne peut plus espérer de stabilité. »
Malgré son constat pessimiste, Boualem Sansal reconnaît que le français continue de jouer un rôle important dans certaines sphères de la société algérienne, notamment grâce à la diaspora. « Une partie des Algériens vivant en France maintient un lien fort avec cette langue. C’est une richesse qu’il faut préserver. »
Il appelle néanmoins à une réflexion profonde sur la place du français en Algérie : « Ce qui manque, c’est une stratégie culturelle et politique ambitieuse. La France a échoué à convaincre l’Algérie de la valeur de la francophonie, mais tout n’est pas perdu. »
Boualem Sansal lance une bouée de sauvetage à la langue française
Plus largement, Boualem Sansal milite pour que la francophonie ne soit pas uniquement l’affaire de la France, mais qu’elle devienne un projet collectif. « Il faudrait une moitié de francophones à l’Académie française. Cela refléterait mieux la diversité et l’héritage mondial de cette langue. »
En Algérie, il voit encore un potentiel immense, à condition de dépasser les tensions historiques. « L’Algérie a été francisée très rapidement à l’époque coloniale. (...) Ce serait génial si un jour l’Algérie acceptait sa francophonie et faisait du français sa langue nationale. »