single.php

Pole dance : enquête sur une discipline sportive et artistique en plein essor

Par Justine Houllé

« On peut danser partout, et c'est cela qui est beau »... et ce, même quand la danse se pratique autour d'une barre métallique, à quelques mètres du sol ! Prononcés par le chorégraphe français Hervé Koubi, ces mots correspondent en tout point à une discipline artistique et sportive qui émerge depuis deux décennies en France : la pole dance. Enquête sur un sport aux ambitions olympiques, qui fascine autant qu'il interroge.

Aux Championnats du monde de Pole Sport 2023, Sylvaine Charrier exécute un "Table-top", une des figures inscrites au code de pointage de la discipline.
Aux Championnats du monde de Pole Sport 2023, Sylvaine Charrier exécute un "Table-top", une des figures inscrites au code de pointage de la discipline.

Quand l'artistique et le sportif ne font plus qu'un

Apparue dans les années 1920 au Canada, au milieu des tentes de cirques forains itinérants, la pole dance a connu de nombreuses évolutions avant d'être reconnue comme une véritable discipline artistique et sportive. Après les fêtes foraines, ce sont les bars de nuit qui, avec l'arrivée du Burlesque dans les années 1950, se saisissent de la pole et l'assimilent progressivement aux clubs de striptease... pendant plusieurs décennies. Il faudra attendre les années 1990 pour qu'un changement de paradigme, grâce aux travaux de Fawnia Mondey, commence à voir le jour. C'est notamment elle qui, via des DVD pédagogiques, commence à enseigner la pole dance à un public totalement ignorant du monde de la danse et de l'effeuillage. Dès lors, l'année 1994 devient une période cruciale pour la promotion et l'enseignement de la pole dance comme une vraie discipline sportive.

Chemin faisant, la pole dance connaît un réel essor dans le monde anglo-saxon et débarque peu à peu en Europe. En France, c'est sous l'impulsion de Mariana Baum, surnommée « la pionnière de la pole française », que la pole dance acquiert une dimension sportive, mais aussi artistique. Pour elle, les deux aspects sont même indissociables : « Dans certains pays, ils avaient peur de tout le côté beau et esthétique de la pole dance. Ils sont donc tombés dans l'extrême inverse, où il fallait faire de la pole avec un short Adidas, des baskets et sans être maquillée. Moi, j'ai essayé de trouver le juste milieu et, surtout, de montrer qu'on pouvait vraiment développer le côté spectacle et artistique de la pole, sans renier les origines sensuelles de la discipline et sans forcément être vulgaire ».

Aujourd'hui dans la pole dance, les dimensions artistique et sportive coexistent, mais possèdent malgré tout leurs propres particularités. En témoigne l'organisation même des championnats nationaux et mondiaux de pole, détaillée par Sylvaine Charrier, sacrée championne du monde de pole dance 2024 à Rome dans la catégorie « Pole Art » : « Dans la pole dance, il y a plusieurs types de compétitions, comme celles de « Pole Art », de « Pole Sport » ou de « Pole Exotic »». Le fonctionnement des compétitions de « Pole Sport » est semblable aux championnats de « gymnastique. Avant le concours, vous devez déclarer les figures que vous allez faire, l'ordre dans lequel vous allez les faire », le tout dans un temps imparti et en respectant un code de pointage très précis. En compétition de « Pole Sport », les mouvements doivent être « extrêmement précis » et les juges attendent « plus de lignes et plus de parallélismes par rapport au sol » dans les mouvements effectués. En revanche, dans les compétitions de « Pole Art », les candidats « cherchent justement à casser les codes et les lignes pour être un peu plus libre », mais aussi à jouer sur l'interprétation et la musicalité de leur numéro, au même titre que lors d'une chorégraphie de danse. Bien évidemment, les compétitions de « Pole Art » ne négligent pas la technique, absolument indispensable pour réussir à se maintenir au plus près de la barre de pole.

« Technique, aérien, artistique » : c'est ainsi que Sylvaine Charrier, alias Sissy, alias la championne de pole aux sept médailles, décrit la pole dance. Une discipline sportive et artistique qui, s'inspirant de sports comme la danse, la GRS, les disciplines aériennes telles que le cerceau, le tissu aérien et le trapèze, repousse les limites de la performance et des acrobaties pour proposer au public un véritable « spectacle », déclare de son côté Mariana Baum. Preuve en est : à l'heure actuelle, des numéros de pole dance sont intégrés dans plusieurs spectacles du prestigieux Cirque du Soleil. Pour la pole dance, c'est l'occasion de se montrer sous un jour nouveau, loin des préjugés érotiques qui l'entourent depuis longtemps, mais aussi d'être mise à l'honneur pour ce qu'elle est désormais : un sport à part entière.

Aux Championnats du monde de « Pole Sport » 2024, Sylvaine Charrier exécute un "Charrier Back Bend", une figure qui porte son nom. Elle a notamment été déclarée au code de pointage de la discipline.

Engouement de la France pour la pole dance : une relation vieille d'une vingtaine d'années seulement

Sous l'égide de Mariana Baum, la pole dance fait son apparition en France en 2007. L'école Pole Dance Paris est créée, une première en France ! À l'époque, un objectif : créer « la première compétition au monde » avec une « catégorie homme », une condition « indispensable pour changer l'image de la pole ». En effet, même si des grands noms masculins ont réussi depuis à s'illustrer dans la discipline, la pole dance « reste encore aujourd'hui très majoritairement féminine », rappelle Mariana Baum. En 2009, la première Compétition française de pole dance a lieu ; par la suite, l'événement change de nom et devient le Championnat de France de pole dance, organisé par la Fédération Française de Danse (FFD).

Dès lors, l'engouement pour la pole dance en France n'a fait que s'accroître, accompagné de décisions cruciales pour la reconnaissance officielle de la discipline dans le monde du sport. En 2015, à l'occasion du 40e Congrès de recherche sur la danse à Athènes, la pole dance est reconnue comme une danse à part entière par le Conseil international de la danse (UNESCO). En 2016, la Fédération Française de Danse (FFD) et le ministère de la Jeunesse et des Sports reconnaissent la pole dance comme une discipline sportive et artistique. En 2017, c'est au tour de l'Association mondiale des fédérations internationales de sport de reconnaître la pole dance comme un sport à part entière. Pour cette discipline émergente, c'est la consécration ultime et le signe d'années à venir prometteuses.

De fait, dès 2018, Mariana Baum et son équipe s'occupent de coordonner la pole dance au sein de la Fédération Française de Danse. « Formation de juge pole dance », développement de compétitions à l'échelle interrégionale, régionale et nationale, formation d'enseignant de pole dance... les missions sont nombreuses pour l'actuelle référente nationale de la pole dance en France et vice-présidente de la World Pole Sports and Arts Federation (POSA), l'une des deux fédérations internationales de pole dance. Et l'engouement est tel que les rangs de son équipe ont plus que quadruplé depuis le début de l'aventure !

De cette façon, il existe aujourd'hui 354 écoles de pole dance en France. Une évolution remarquable par rapport à 2021 où, selon les chiffres recensés par l'annuaire d'Écoles Pole Dance, la pole était enseignée et pratiquée dans environ 250 structures sur le territoire. Désormais, seuls 19 départements sont dépourvus d'école de pole dance ; parmi eux se trouvent l'Ariège, le Cher, la Manche ou encore la Martinique. Par ailleurs, la France compterait « entre 30 000 et 40 000 pratiquants de pole dance » ; un chiffre difficile à affiner, explique Mariana Baum, parce que dans le milieu, « ça se licencie doucement ». Côté championnats interrégionaux et nationaux de « Pole Art » et de « Pole Sport », la France en organise chaque année huit. Quelques compétitions non officielles ont également lieu, où débutants et experts de la pole sont, bien entendu, les bienvenus.

Par ailleurs, le modèle français de pole dance séduisait à l'étranger et ce, avant même que la discipline ne soit officiellement reconnue en France ! « Notre compétition était très respectée à l'étranger. Tous les champions qui en sortaient étaient automatiquement qualifiés aux compétitions internationales très réputées. La pole française avait la réputation d'être très créative, artistique, esthétique et pas que sportive », se remémore Mariana Baum. Une réputation qui ne semble pas faiblir, puisque depuis deux-trois ans, la France a eu des « résultats exceptionnels » en championnats. Avec des récompenses dans pratiquement toutes les catégories d'âge, la France s'est hissée à la première place en nombres d'athlètes et de médailles. Une remontée saisissante, avec des « podiums parfois exclusivement français », qui apparaît comme une « vraie réussite » pour la vice-présidente de la POSA. De quoi faire trembler les Australiennes qui, pendant longtemps, ont été de redoutables concurrentes dans le milieu !

Reconnue comme un sport à part entière, la pole dance tente de s'éloigner de la sulfureuse réputation qui lui colle à la peau

Aux Championnats du monde de Pole Sport 2023, Sylvaine Charrier exécute un "Hug Hade", une des figures inscrites au code de pointage de la discipline.
Aux Championnats du monde de « Pole Sport » 2023, Sylvaine Charrier exécute un "Hug Hade", une des figures inscrites au code de pointage de la discipline.

« Non ma fille, tu ne vas pas faire ça »... une phrase que Sylvaine Charrier, gérante de l'école connue sous le nom Sissy Pole Angers, a déjà entendu quand il est question d'inscrire des adolescents à la pole dance. Un a priori ancré dans les origines de la pole et qui, malgré la curiosité qu'elle peut susciter, a du mal à s'effacer. « On sait que la pole dance est issue du monde du striptease, donc pour s'en défaire, ça prend un peu de temps. En même temps, on a toujours des formes de pole dance, comme le « Pole Exotic », qui se rapportent au côté sexy. Dans les bars de striptease, on laisse encore les barres de pole, il ne faut pas l'oublier. De même, dans certaines écoles, on enseigne la pole dance et aussi la lap dance ». Autant d'éléments qui empêchent d'accepter la pole comme exempte de tous préjugés...

Mais alors, quelle solution adopter ? Sylvaine Charrier mise sur l'évolution perpétuelle du sport qui, progressivement, devient plus technique et intéresse de nouveaux profils. « Dernièrement, des personnalités du monde artistique, voire de la gym, s'y intéressent. C'est en communiquant, en montrant nos performances qu'on pourra s'en sortir et diffuser une autre image » de la pole dance. Quant à Mariana Baum, c'est l'occasion de faire le parallèle avec le tango argentin : « C'est aussi une danse très sensuelle et pourtant, aujourd'hui, ça ne dérange personne de prendre des cours de tango. Pour la pole, ce sera la même chose : ce stigmate très connoté lui colle à la peau, mais ça ne va pas durer ». En attendant, passons outre la légèreté du costume -d'ailleurs obligatoire- et mettons plutôt à l'honneur la performance sportive de la discipline, tout comme son esthétique presque gymnique.

Des bienfaits considérables sur le corps et la santé mentale des pratiquants

La pole dance, un sport qui challenge : c'est de cette manière que Mariana Baum décrit une discipline pour laquelle elle a donné seize ans de sa vie. Une discipline qui, depuis ses débuts, possède une « grande force que d'autres sports n'ont pas » et qui ne se résume pas qu'au simple fait de tourner autour d'une balle métallique. La pole dance est une discipline « très physique, très spectaculaire », où la souplesse, la tonicité, le sens de l'équilibre et la proprioception doivent impérativement être au rendez-vous. Accroché à la barre, tête en haut, puis en bas, il faut être prêt à s'habituer à perdre ses repères et, surtout, à dépasser la douleur lorsque la peau du corps vient frotter la barre et crée des frictions qui seraient, dans la vie quotidienne, très désagréables. Plus qu'une question de force, c'est un réel exercice de formation musculaire qui, souvent, nécessite de repousser les limites de son corps.

À ces capacités physiques s'ajoutent la musicalité et l'interprétation des mouvements, deux notions artistiques qui impliquent de travailler sur son image. Une chose en entraînant une autre, ces particularités boostent la confiance en soi et ont, de fait, un impact positif sur le bien-être ! En effet, réussir à effectuer une figure sur la barre de pole sans tomber, après plusieurs tentatives infructueuses, procure un « sentiment de satisfaction, de fierté et de réussite », témoigne Sylvaine Charrier. La championne du monde de pole dance l'a par elle-même constaté dans son école : après de longs efforts, le travail paie et ses élèves « ressortent du cours en étant contents ».

Néanmoins, le bien-être n'est pas le seul gagnant dans l'affaire ! Aux États-Unis, des sociologues ont démontré des liens entre la pole dance, le développement personnel et l'amélioration de la santé mentale des pratiquants. Une tendance confirmée par Mariana Baum, également présidente et fondatrice de Pole Dance Paris : « Quand on réussit une figure, on gagne en confiance en soi et on se découvre courageuse, surtout à l'heure où certaines femmes sont très critiques envers elles-mêmes ». Dès lors, la pole dance apporte des « résultats au moins équivalents, voire bien supérieurs à une séance d'abdo-fessiers »... une bonne nouvelle pour tous ceux qui se rendent à la salle de sport à reculons ! En dehors du challenge produit par la pratique de la pole dance, les pratiquants se sentent plus forts, plus dynamiques, plus à l'aise dans leurs corps et leurs esprits... tout en s'amusant ! « Évidemment dans les cours, on se fait des amis, on s'amuse, tout en dessinant son corps et en étant fier de soi ! C'est ce qui justifie aussi le succès de la pole », rajoute Mariana Baum. On peut dire que la pole dance est une discipline complète, spectaculaire et, chose étonnante, qui se marie sans problème avec le yoga et le pilates !

Faire de la pole dance une discipline olympique, un objectif sur les bons rails... mais qui risque de prendre du temps

Pratiquée de nos jours dans plus de 60 pays, avec plus de 5 000 athlètes masculins et féminins en compétition chaque année, quel est l'avenir de la pole dance ? Pour Sissy, championne du monde de pole dance 2024 dans la catégorie « Pole Art », la réponse est plus que claire : la pole doit devenir une discipline olympique. Une nouvelle étape dans le parcours de reconnaissance du sport en tant que tel, qui « débloquerait beaucoup de choses ». En effet, la discipline a tout fait pour être conforme aux attentes du Comité International Olympique (CIO) : intégration du « Para Pole » en compétition, organisation ultra codifiée des championnats, statut « d'observer » de la POSA auprès de SportAccord, une des organisations olympiques, pour ne citer que quelques critères... Pour Mariana Baum, vice-présidente de la POSA, la reconnaissance olympique de la pole permettrait d'en finir définitivement avec « l'image sulfureuse qui fait encore fuir quelques personnes mal renseignées ».

Par conséquent, la discipline est bonne élève et marque des points dans la course à l'olympisme ; seulement, la pole ne se trouve que « sur la toute première marche d'un très long escalier », tempère Mariana Baum. En vérité, de nombreuses autres disciplines sportives, bien plus âgées et bien plus ancrées dans l'inconscient collectif que la pole dance, attendent leur tour. De plus, pour qu'un sport soit candidat à une acception olympique, il doit être pratiqué, au minimum, dans 75 pays et 4 continents pour la catégorie masculine, et dans 40 pays et 3 continents pour la catégorie féminine. En France, la pole dance a la chance d'être reconnue officiellement par la Fédération Française de Danse (FFD), délégataire des ministères des Sports et de la Culture, mais ce n'est pas le cas partout sur le globe. Actuellement, il existe « une quarantaine, voire une cinquantaine » de fédérations dans le monde, mais toutes n'ont pas la reconnaissance gouvernementale officielle de leur pays.

Ensuite, autre hic, et non des moindres : l'olympisme est une question d'argent... une chose que la pole dance, nouvelle dans le milieu sportif et encore très peu reconnue, ne possède pas encore. Preuve à l'appui : Sylvaine Charrier a beau avoir été sacrée championne du monde de pole dance 2024, elle ne fait toujours pas partie des athlètes de haut niveau français. « Ce n'est pas parce que la pole dance dépend d'une Fédération qu'elle est totalement reconnue », déplore-t-elle. Idem pour les financements : « On reçoit quand même des récompenses sur les gros résultats, mais on reste en bas de l'échelle. Cette année, on a réussi à avoir un sponsor pour le survêtement de l'Équipe de France ». Ce sont des petits pas, certes, mais sont-ils suffisants ? La question reste en suspens...

Toutefois, il n'est pas impossible que des raccourcis se présentent dans la visée olympique que se fixe la pole dance. Lors des Jeux olympiques de Paris 2024, le Comité International Olympique (CIO) a souhaité renouveler et moderniser l'image des sports représentés, en incluant par exemple le breaking dans le panel des disciplines sportives proposées. De plus, le Comité a émis le souhait de revenir vers la conception du début des JO, où l'aspect artistique des disciplines était davantage mis en avant, confie la vice-présidente de la POSA. Il n'est donc « pas impossible qu'on n'attende pas encore 40 ans » pour la pole, mais il ne faut pas non plus espérer la voir à l'affiche des Jeux de Los Angeles 2028 ou à ceux de Brisbane 2032 ! Pour un sport en plein essor, qui fascine autant qu'il interroge, il n'y a désormais plus qu'une chose à dire : bon vent !

L'info en continu
01H
00H
23H
22H
20H
18H
17H
16H
15H
14H
13H
12H
Revenir
au direct

05H00 - 07H00

Benjamin Glaise

Le Petit Matin
À Suivre
07H00 - 08H30
Patrick Roger
Le Grand Matin
/